Je ne sais pas si c’est l’effet Barbie/Oppenheimer, mais le Cinéma StarCité du Parc Olympique est moins sinistre que dans mon souvenir. La dernière fois, les toilettes avaient l’air de Woodstock 99 après le passage de Limp Bizkit. Cette fois, sans être le luxe, c’était plutôt propre. Je dirais trois étoiles et demie. Il n’y avait presque pas de popcorn par terre.
Avec la grève des profs du primaire qui s’éternise, il faut bien trouver des moyens de divertir les enfants. Toilettes sales ou pas, le StarCité me semblait un endroit comme un autre. Nous avions donc le choix, cet après-midi-là, entre Wonka, Les Trois Mousquetaires et deux films de superhéros. Devant ce choix hantologique entre quatre itérations de franchises surexploitées, les délibérations de ma fille et de son ami se sont arrêtées sur Wonka de Paul King, après que j’aie posé mon veto catégorique à l’encontre d’Aquaman.
De Wonka, je n’ai pas grand-chose à vous dire. C’est coquet comme du Wes Anderson, le scénario est une sorte de fable dickensienne qui finit bien. Ma fille l’a trouvé “pas mal”, “sauf quand ils chantent”, ce qui est quand même cinglant étant donné qu’il s’agit d’une comédie musicale. Je me fie à son jugement. Vous devriez aussi.
Une chose qui m’a marqué dans le Cinéma StarCité, c’est les publicités diffusées avant le film. Ce n’est pas nouveau, mais c’est toujours drôle de voir les pubs côte à côte, et de se rendre compte que, dans le monde publicitaire, désormais, tous les couples sont “diversifiés”.
Le désir publicitaire
Au fil des annonces, j’en suis venu à me demander à quel désir répondait l’image d’Épinal voulant qu’il y ait un Noir dans chaque fête de famille, dans chaque couple ou dans chaque groupe d’amis?
Edward Bernays, le petit-neveu de Freud, avait compris que la publicité devait avant tout parler à nos désirs. Le 20e siècle a été marquée par ce marketing pulsionnel où, plus souvent qu’autrement, le désir s’exprimait au sens concret. Fut un temps où l’on sexualisait tout pour nous le vendre, du tube de dentifrice à la voiture de luxe. Cette époque est plus ou moins révolue.
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un article publié par Raquel S. Benedict il y a quelques années. Ça s’intitulait “Everyone Is Beautiful But No One Is Horny”, et ça commençait en parlant de la scène de la douche dans Starship Troopers de Paul Verhoeven. Dans cette scène dont tous ceux qui ont survécu aux années 1990 se souviennent, on voit les corps nus des soldats sous la douche, hommes et femmes, sans qu’il n’y ait aucune tensions sexuelle entre les personnages :
À la surface, la scène est idyllique: harmonie raciale, égalité des genres, unité dans un but commun… le tout sur fond de culs et de seins bien fermes et rebondis.
Et puis un personnage parle. Le sujet? Le service militaire, bien sûr. Une s’est enrôlée pour sa carrière politique. Une autre veut avoir sa licence de procréation. Un autre avoue son désir de tuer l’ennemi. Personne ne se regarde. Personne ne drague.
Une pièce pleine de magnifiques corps nus, et les gens ne sont excités que par une seule chose: la guerre1.
Verhoeven, qui s’adressait à un public des années 1990, savait bien que le regard vicieux des cinéphiles n’avait que faire de cette guerre interstellaire contre des insectes tueurs. La dystopie était dans le décalage entre les pensées mal tournées des spectateurs et ce monde futuriste d’où le désir était effacé.
Pour Benedict, cette scène était annonciatrice de ce que deviendrait le film de superhéros des années 2000, avec des corps sculpturaux pimentés aux stéroïdes, mais épurés de toute forme de désir.
Simulacres et diversité
Je vois un peu le même phénomène dans la publicité inclusive des années 20, dans le sens où je n’arrive pas à identifier de désir. Il y a bien des gens de toutes les couleurs et origines, mais le regard porté sur eux est énumératif.
Le problème, c’est que la publicité parle encore au désir. On cherche bien sûr à “cocher des cases” pour éviter les scandales sur Internet, mais il y a surtout ce monde idéal renvoyé par l’imaginaire publicitaire. Aux femmes toujours belles et aux verres toujours pleins des publicités des années 1990, on ajoute la démographie toujours diversifiée des fêtes de famille des annonces du 21e siècle.
C’est quelque chose que voyait déjà Jean Baudrillard dans sa distinction entre simulation et simulacre2. Pour Baudrillard, la simulation est fondée sur l’effet de réel. Elle a un référent en-dehors du monde des représentations, tandis que le simulacre est l’image d’une image, qui ne renvoie au terme du processus à aucun référent dans le réel.
Il en va de la diversité publicitaire comme d’un simulacre. Pas question ici d’avoir des Haïtiens qui discutent politique en parlant fort, le “Noir” publicitaire est un “ami Noir”, indistinct culturellement. Il ne réfère à rien en-dehors de l’imaginaire réifié de la diversité.
Wonka et la diversité
À bien y penser, Wonka est aussi un film qui joue du simulacre de la diversité. Situé dans une sorte d’Angleterre imaginaire mi-19e siècle, mi-années 1930, le film comprend un agent de police, un méchant propriétaire de chocolaterie et une jeune orpheline, qui sont tous afrodescendants.
Wonka arrive en ville avec douze “souverains” (la monnaie de l’endroit) dans les poches et un rêve en tête : fonder sa chocolaterie. Douze souverains ce n’est semble-t-il pas grand-chose parce qu’il épuise ses fonds la première journée avant de se faire avoir par sa chambreuse, qui lui fait signer un contrat léonin l’obligeant à la servitude éternelle dans une buanderie souterraine. C’est là qu’il rencontre la jeune orpheline, qui lui rappelle à au moins deux reprises que ce sont “toujours les méchants qui gagnent”.
Doté d’un talent magique de chocolatier, Wonka essaye de racheter sa liberté en vendant des sucreries, mais il se heurte rapidement au cartel local du chocolat. Le principal adversaire de Wonka est Noir, mais il fait partie d’un triumvirat de chocolatiers qui le rend indistinct. On comprend que ces trois personnages, qui se distinguent seulement par la couleur de leur complet, incarnent le pouvoir du vieux Capital contre le jeune entrepreneur “créatif”.
De la start-up Wonka…
Wonka déjoue évidemment les plans des méchants à l’aide du gentil policier, et finit par réussir à implanter sa propre entreprise chocolatière. À la fin, il emménage dans un château reconverti en usine. Son principal objectif sera, on le comprend, d’extraire un maximum de valeur-travail des Houmpa-Loumpas. Au méchant capital des oligarques, Wonka oppose le capital souriant du gringalet Thimothée Chalamet, un capital magique supposé prouver que ce ne sont pas “toujours les méchants qui gagnent”.
Contrairement au Wonka original imaginé par Roald Dahl, le Wonka de Paul King est dépourvu de méchanceté. Un adulte danse avec une orpheline, donne des chocolats aux enfants, sans qu’il soit possible un instant de mal y penser. Le Willy Wonka original, interprété par Gene Wilder dans le film de 1971, était pourtant un sadique. Les enfants disparaissaient dans son usine, il multipliait les réflexions narquoises….
Le régime du conte a longtemps été celui du double-sens et du sadisme. Il ne suffit que de penser aux Frères Grimm, à Perrault ou à Andersen pour s’en souvenir : le conte a cette fonction d’instruire l’enfant à propos des dangers du monde. Le Wonka pacifié de Paul King ne montre pour seul danger que le mauvais riche, lui opposant la bonne richesse du self-made man, et sa diversité de carton-pâte.
…à la start-up nation
Le hasard a voulu que je finisse Wonka pour tomber sur la session de l’Assemblée Nationale française à propos de la loi immigration. Pour ceux qui ne l’auraient pas suivi, ce sordide épisode s’est soldé par l’approbation de la loi la plus répressive depuis Vichy, inspirée par les positions du Rassemblement National, tout ça par une présidence qui s’était posée comme un “rempart” contre l’extrême-droite.
Sur les réseaux de télé, ceux qui ont appuyé cette loi se sont empressés de la défendre. Un élu des Républicains, je crois, tenait par exemple à faire la distinction entre les immigrés qui profitent du système ou commettent des crimes, et ceux qui apportent de la “valeur-travail” (ce sont ses mots).
Partout en Occident, le discours anti-immigration gagne du terrain. Il est au cœur de la campagne de Trump. Cette semaine, c’était le Premier Ministre britannique Rishi Sunak, qui lors d’une visite chez la Présidente néofasciste italienne Giorgia Meloni, y allait de sa petite tirade sur les menaces de l’immigration. Au Canada, le discours voulant que l’immigration soit la source de la crise du logement est de plus en plus normalisé, quand cette immigration n’est pas pointée du doigt comme une menace à la culture québécoise.
Nous vivons dans ce monde étrange où une diversité imaginaire est brandie partout, jusque dans les pubs du Cinéma StarCité, alors que la diversité réelle est menacée de toutes parts.
https://bloodknife.com/everyone-beautiful-no-one-horny/
Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, Paris, Galilée, 1981.
Bien vu, Père Duchesne !
Merci de dénoncer les si nombreuses absurdités qui parasitent notre quotidien Père Duchesne!!..