Le français, ou quelque langue que ce soit, est une chose, un matériau que l'on peut utiliser pour communiquer ce que l"on veut faire passer comme message; une langue est tout bêtement, tout simplement ce que l'on veut en faire: un outil de pouvoir, instrumentaliser par un pouvoir, ou un outil qui peut aider à s'affranchir d'un pouvoir qui cherche à assujettir (entendez: asservir) à ces propres fins qui la parle et s'en sert pour vivre. Le français n'est pas plus ce hochet autoritaire que vous dépeignez que l'anglais, le chinois, le russe ou l'espagnol. Sinon, on tombe dans le piège d'une forme d'essentialisme de la langue, ce qui revient à dire que certaines seraient plus aptes à exprimer ceci ou cela, certaines autres ne le seraient pas. D'où une inégalité entre langues, certaines seraient supérieures à d'autres, etc. Il ne faut pas tomber dans le piège que vous cherchez peut-être vous-même à dénoncer, à savoir que certaines auraient été conçues dans le but d'asservir ses locuteurs. Je répète: une langue est ce qu'on en fait. Point. S'il faut s'attaquer, critiquer les inégalités de toutes sortes, c'est d'abord et avant un combat politique et économique.
Je suis d’accord avec vous. Une langue est ce qu’on en fait. Dénoncer les approches policières n’exclut pas que la langue puisse être un outil de libération et de création.
Le commentaire sera très partiel puisque je n'ai pas lu le livre d'Al-Ghabri ; je soulignerai néanmoins qu'une "élite" symbolique n'a peut-être qu'un statut secondaire, celui que Bourdieu indiquait par les termes "dominés parmi les dominants". Les espaces de l'éducation, du journalisme traditionnel, de l'édition, du communautaire, le service public, etc, qui tous mobiliseraient une "idéologie woke" complaisante, restent des espaces assez marginaux.
Du moins il faudrait opérer une cartographie du pouvoir pour déterminer ce qui est central, marginal, effectif, conditionnant ou conditionné. Dans un schème matérialiste, il n'est pas possible de prendre la notion de capital symbolique très au sérieux. Le schème bourdieusien, qui permet cette notion, est peut-être encore assez dernier siècle : il suppose encore que la distinction est produite verticalement à partir d'un centre.
En vérité on peinerait aujourd'hui à déterminer qui détient les clefs de la distinction ou de la culture ; la société n'est pas si unifiée ou centralisée autour d'un bloc qui serait l'État. La classes intellectuelles, "conseillers au pouvoir", grands scribes égyptiens obèses qui feraient l'opinion publique, n'est pas facilement identifiable. Les classes lettrées sont aujourd'hui déclassées. Le fait d'avoir une position élevée dans le monde académique ne veut rien dire politiquement.
Les professeurs de collèges peuvent vivre une sorte de culpabilité s'ils trouvent ça bon pour leur conscience, comme ils peuvent s'imaginer faire partie de l'élite culturelle - dans les deux cas il y a quelque chose qui remonte la croyance que tout ça est un drame central. En vérité l'école est une institution moribonde, subordonnée, sans grande importance sociopolitique. Son déclin est le même que celui de la nation. La culture aujourd'hui est déterriorialisée ; c'est ce qui fait l'obsession des nationalistes. On parlera donc surtout d'une petite élite locale réactionnaire plus qu'autre chose (au Québec nous n'avons rien d'autre, semble-t-il).
Les classes lettrées sont autant coupées du reste du social que les autres classes, puisqu'il n'y a pas de classe sociale universelle (qui serait le prolétariat) depuis pratiquement cent ans. Si on peut reprocher quelque chose aux classes lettrées c'est probablement les restes de leur technophobie et de leur fétichisme culturel (la langue), qui les fait pencher du côté nationaliste et réactionnaire, plutôt qu'une quelconque une compromission avec le pouvoir qui les éloignerait du peuple.
Je pense que vous faites bien de souligner le peu de prise sur le pouvoir de ces soi-disant élites, autrement que dans leur propre tête et dans leur propre monde. C'est pour cette raison qu'al-Gharbi parle d'un "capitalisme symbolique", en quelque sorte autoréférentiel et très peu transférable sur le marché du véritable capital. C'est dans ce bras mort qu'habite "l'élite culturelle".
Je n'aime pas ce texte. D'abord par la façon dont il fait de la langue française une langue aliénante au service de la classe dominante. Bien sûr, et nous le savons, le français est né dans les officines de notaires et des administrateurs à l'époque royaliste. Son but n'était pas d'entendre s'exprimer les Nu-pieds des provinces. Ces derniers ne l'ont véritablement acquise que durant la Grande Guerre, parce qu'on utilisait le téléphone d'un régiment l'autre, et non pour savourer la beauté des vers de Baudelaire et de Hugo.
Pourtant, sans l'assaut civil de la langue française sur les classes de manants, la Révolution n'aurait pas eu lieu. Lorsque ce bon bourgeois qu'était Jacques-René Hébert - qui se faisait appeler le Père Duchesne - publiait son journal patriote, il le rédigeait en français classique parsemé de jurons afin de faire prolo. Ce n'était pas ici un « capitalisme symbolique » mais une « prolétarisation symbolique » qui semble ne pas exister parmi les catégories de notre Père Duchesne. Personne ne s'y laissait prendre. Outil d'aliénation et d'émancipation à la fois, il faut que la langue traverse les frontières sociales comme nationales. On a le choix : soit on la diffuse auprès du petit peuple et des immigrants, soit on s’en prend aux « élites » et aux agents de gestion de la société. Le choix révolutionnaire n'existe pas. Il s'agit d'élever la société vers des options plus élaborées permettant des choix mieux éclairés, ou d'abaisser la société vers des options limitées, grégaires et paroissiales.
Avant 1960, au Québec, on tirait sur la première option. Depuis, c’est la seconde qui domine, avec la justification qu’il faut donner la parole aux déshérités de la terre (ce qui est déjà une pensée pleine de préjugés). On verra les Desmarais sacrer comme des verrats ou le petit peuple et les immigrants parler un même langage par lequel ils liront aussi bien Gaston Miron que Frantz Fanon... ou Jean-Pierre Pelletier. Lequel devons-nous encourager ? La question est tout entière là. Ça ne sert à rien de faire des lois pour affirmer le français si nous devons nous mettre à toutes les créolisations du monde (sans offense) sous prétexte d'inclusion. C'est une position woke tout à fait méprisante et méprisable.
Jean-Paul Coupal
Docteur en histoire
Jean-Pierre Pelletier,
Poète, traducteur littéraire (de l’espagnol et de l’angais vers le français), entre autres occupations.
Je ne comprends pas trop où vous voulez en venir. Je dis que le français sert souvent à humilier, certes, mais je ne pense pas que la langue soit seulement un outil du pouvoir. Elle a peut-être été pensée par le pouvoir, mais elle finit toujours par y échapper. Ce n'est pas parce que le pinceau est vendu par une multinationale que l'artiste ne peut pas en faire quelque chose. Au contraire, le français est riche de sa prolifération mondiale et de ses fourmillements. Je pense, malheureusement, que nous agissons souvent en éteignoirs et que plusieurs choses peuvent être faites pour améliorer cette approche policière de la langue.
Le français, ou quelque langue que ce soit, est une chose, un matériau que l'on peut utiliser pour communiquer ce que l"on veut faire passer comme message; une langue est tout bêtement, tout simplement ce que l'on veut en faire: un outil de pouvoir, instrumentaliser par un pouvoir, ou un outil qui peut aider à s'affranchir d'un pouvoir qui cherche à assujettir (entendez: asservir) à ces propres fins qui la parle et s'en sert pour vivre. Le français n'est pas plus ce hochet autoritaire que vous dépeignez que l'anglais, le chinois, le russe ou l'espagnol. Sinon, on tombe dans le piège d'une forme d'essentialisme de la langue, ce qui revient à dire que certaines seraient plus aptes à exprimer ceci ou cela, certaines autres ne le seraient pas. D'où une inégalité entre langues, certaines seraient supérieures à d'autres, etc. Il ne faut pas tomber dans le piège que vous cherchez peut-être vous-même à dénoncer, à savoir que certaines auraient été conçues dans le but d'asservir ses locuteurs. Je répète: une langue est ce qu'on en fait. Point. S'il faut s'attaquer, critiquer les inégalités de toutes sortes, c'est d'abord et avant un combat politique et économique.
Je suis d’accord avec vous. Une langue est ce qu’on en fait. Dénoncer les approches policières n’exclut pas que la langue puisse être un outil de libération et de création.
Le commentaire sera très partiel puisque je n'ai pas lu le livre d'Al-Ghabri ; je soulignerai néanmoins qu'une "élite" symbolique n'a peut-être qu'un statut secondaire, celui que Bourdieu indiquait par les termes "dominés parmi les dominants". Les espaces de l'éducation, du journalisme traditionnel, de l'édition, du communautaire, le service public, etc, qui tous mobiliseraient une "idéologie woke" complaisante, restent des espaces assez marginaux.
Du moins il faudrait opérer une cartographie du pouvoir pour déterminer ce qui est central, marginal, effectif, conditionnant ou conditionné. Dans un schème matérialiste, il n'est pas possible de prendre la notion de capital symbolique très au sérieux. Le schème bourdieusien, qui permet cette notion, est peut-être encore assez dernier siècle : il suppose encore que la distinction est produite verticalement à partir d'un centre.
En vérité on peinerait aujourd'hui à déterminer qui détient les clefs de la distinction ou de la culture ; la société n'est pas si unifiée ou centralisée autour d'un bloc qui serait l'État. La classes intellectuelles, "conseillers au pouvoir", grands scribes égyptiens obèses qui feraient l'opinion publique, n'est pas facilement identifiable. Les classes lettrées sont aujourd'hui déclassées. Le fait d'avoir une position élevée dans le monde académique ne veut rien dire politiquement.
Les professeurs de collèges peuvent vivre une sorte de culpabilité s'ils trouvent ça bon pour leur conscience, comme ils peuvent s'imaginer faire partie de l'élite culturelle - dans les deux cas il y a quelque chose qui remonte la croyance que tout ça est un drame central. En vérité l'école est une institution moribonde, subordonnée, sans grande importance sociopolitique. Son déclin est le même que celui de la nation. La culture aujourd'hui est déterriorialisée ; c'est ce qui fait l'obsession des nationalistes. On parlera donc surtout d'une petite élite locale réactionnaire plus qu'autre chose (au Québec nous n'avons rien d'autre, semble-t-il).
Les classes lettrées sont autant coupées du reste du social que les autres classes, puisqu'il n'y a pas de classe sociale universelle (qui serait le prolétariat) depuis pratiquement cent ans. Si on peut reprocher quelque chose aux classes lettrées c'est probablement les restes de leur technophobie et de leur fétichisme culturel (la langue), qui les fait pencher du côté nationaliste et réactionnaire, plutôt qu'une quelconque une compromission avec le pouvoir qui les éloignerait du peuple.
Je ne suis pas plus bourdieusien qu'un autre, mais la notion de capital symbolique reste très pertinente pour expliquer des données comme l'augmentation des taux réussite scolaire en fonction du revenu parental. Voir ce rapport de l'Observatoire des Inégalités : https://observatoiredesinegalites.com/bulletin-de-legalite-des-chances-en-education-edition-2024/
Je pense que vous faites bien de souligner le peu de prise sur le pouvoir de ces soi-disant élites, autrement que dans leur propre tête et dans leur propre monde. C'est pour cette raison qu'al-Gharbi parle d'un "capitalisme symbolique", en quelque sorte autoréférentiel et très peu transférable sur le marché du véritable capital. C'est dans ce bras mort qu'habite "l'élite culturelle".
Je n'aime pas ce texte. D'abord par la façon dont il fait de la langue française une langue aliénante au service de la classe dominante. Bien sûr, et nous le savons, le français est né dans les officines de notaires et des administrateurs à l'époque royaliste. Son but n'était pas d'entendre s'exprimer les Nu-pieds des provinces. Ces derniers ne l'ont véritablement acquise que durant la Grande Guerre, parce qu'on utilisait le téléphone d'un régiment l'autre, et non pour savourer la beauté des vers de Baudelaire et de Hugo.
Pourtant, sans l'assaut civil de la langue française sur les classes de manants, la Révolution n'aurait pas eu lieu. Lorsque ce bon bourgeois qu'était Jacques-René Hébert - qui se faisait appeler le Père Duchesne - publiait son journal patriote, il le rédigeait en français classique parsemé de jurons afin de faire prolo. Ce n'était pas ici un « capitalisme symbolique » mais une « prolétarisation symbolique » qui semble ne pas exister parmi les catégories de notre Père Duchesne. Personne ne s'y laissait prendre. Outil d'aliénation et d'émancipation à la fois, il faut que la langue traverse les frontières sociales comme nationales. On a le choix : soit on la diffuse auprès du petit peuple et des immigrants, soit on s’en prend aux « élites » et aux agents de gestion de la société. Le choix révolutionnaire n'existe pas. Il s'agit d'élever la société vers des options plus élaborées permettant des choix mieux éclairés, ou d'abaisser la société vers des options limitées, grégaires et paroissiales.
Avant 1960, au Québec, on tirait sur la première option. Depuis, c’est la seconde qui domine, avec la justification qu’il faut donner la parole aux déshérités de la terre (ce qui est déjà une pensée pleine de préjugés). On verra les Desmarais sacrer comme des verrats ou le petit peuple et les immigrants parler un même langage par lequel ils liront aussi bien Gaston Miron que Frantz Fanon... ou Jean-Pierre Pelletier. Lequel devons-nous encourager ? La question est tout entière là. Ça ne sert à rien de faire des lois pour affirmer le français si nous devons nous mettre à toutes les créolisations du monde (sans offense) sous prétexte d'inclusion. C'est une position woke tout à fait méprisante et méprisable.
Jean-Paul Coupal
Docteur en histoire
Jean-Pierre Pelletier,
Poète, traducteur littéraire (de l’espagnol et de l’angais vers le français), entre autres occupations.
Je ne comprends pas trop où vous voulez en venir. Je dis que le français sert souvent à humilier, certes, mais je ne pense pas que la langue soit seulement un outil du pouvoir. Elle a peut-être été pensée par le pouvoir, mais elle finit toujours par y échapper. Ce n'est pas parce que le pinceau est vendu par une multinationale que l'artiste ne peut pas en faire quelque chose. Au contraire, le français est riche de sa prolifération mondiale et de ses fourmillements. Je pense, malheureusement, que nous agissons souvent en éteignoirs et que plusieurs choses peuvent être faites pour améliorer cette approche policière de la langue.