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Avatar de Karine

WoW! Merci Père Duchesne et monsieur Coupal. En plus de me permettre de procrastiner joyeusement, vos échanges élargissent le point de vue en éclairant des angles morts. Je retourne à Castoriadis. Bye là!

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Oct 24, 2023
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Avatar de Père Duchesne

C'est une sacrée réponse! Je dirais que ça fait partie de la vie d'un concept, en effet, de se réifier et de devenir du prêt-à-penser, même si au départ le but est généralement d'expliquer ou d'attaquer un problème autrement.

Pour ce qui est du "colonialisme" israélien, il faut, je crois, remonter à Theodore Herzl, qui expliquait en 1895 son projet comme celui d'un "rempart de l'Europe face à l'Asie", ce qui l'inscrivait assez directement dans la dynamique des empires coloniaux. Le problème, après 45, c'est que les populations juives d'Europe qui ont emboité le pas l'ont aussi fait quand ils n'avaient pas d'autre option. On peut penser aux juifs de Pologne, par exemple, qui se retrouvaient sans rien derrière eux. Ça s'épaissit encore par la suite avec l'arrivée des juifs séfarades chassés des pays musulmans, qui se retrouvaient de facto apatrides...

Il y a certainement des recoupements entre le colonialisme nord-américain et le sionisme. Par exemple, les Israéliens ont tendance à survaloriser leur héritage généalogique provenant de la Palestine pré-Israël, pour souligner leur appartenance au territoire. On voit aussi ce processus d'autochtonisation en Amérique avec l'"ancêtre autochtone". N'empêche que des éléments divergent. Le Canada actuel est encore colonial dans la mesure où l'Autochtone est instrumentalisé/spectacularisé dans un simulacre de "progrès" des relations interthniques qui existe depuis Marc Lescarbot (mais se dit "nouveau" à chaque décennie), tandis qu'Israël s'est construit comme État national au dépend et à part des indigènes.

Au Canada, la réserve, dont le prototype se trouve dans les réductions jésuites est un outil d'expropriation et de vol du territoire, certes, mais c'est sous le couvert d'une mission de "protection" et de "civilisation" des cultures autochtones. Ça continue d'ailleurs aujourd'hui, le système des réserves est là pour défendre les cultures, les "communautés", en même temps qu'il joue son rôle concentrationnaire et d'acculturation (avec des institutions comme les églises évangéliques, par exemple, qui sont actuellement très fortes). Je ne pense pas qu'Israël ait jamais joué la bienveillance perverse du colonialisme canadien. Au contraire, le "choc des cultures" du sionisme est plus hobbesien dans sa manière de se raconter.

Quant au curé Labelle, bien évidemment que c'est du colonialisme, même si le succès est mitigé. Dans ce cas, on parle littéralement de "colons", sur des terres volées aux Anishinaabe et aux Cris. Il faut voir les films de l'Abbé Proulx et ce qui est dit des "Sauvages" (il y en a plusieurs sur le site de l'ONF). Ça a beau être un colonialisme de "ticounes", c'est du colonialisme quand même.

N'empêche, le problème que je vois avec la logique settler coloniale, c'est de réduire les rapports sociaux à cette logique d'exploitation/expropriation alors que l'expérience et les pratiques du territoire se jouent différemment qu'on soit à Bay Street ou à Saint-Jérôme. La fausse conscience coloniale ne peut rien y changer. Il en va de même en Israël/Palestine, où les modes de vie et les pratiques du territoire se jouent sur des plans différents quand on est un travailleur migrant ou un politicien du Likoud. C'est comme si dans la logique crypto-foucaldienne qui cherche des dominants et des dominés, on perdait de vue que les forces historiques qui s'exercent sont avant tout celles d'un système d'exploitation qui traverse le lignes interethniques pour générer une violence d'autant plus grande qu'on se retrouve au confluent de deux plaques tectoniques, de deux projets impérialistes qui s'affrontent et qui broient des vies humaines.

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