Le Parti Vert déchiré par les politiques identitaires tandis que le monde brûle
Les roulements d'yeux du Père Duchesne
Jusqu’à maintenant et pour les années à venir, le Parti Vert du Canada n’aura rien réussi à accomplir à part s’entre-déchirer sur des questions secondaires. Le Parti avait pourtant une des tâches les plus simples entre les mains : défendre l’écologie.
Ce n’est pas comme si nous n’étions pas tous, à des degrés divers, atteints d’écoanxiété. Beaucoup de gens seraient même prêts à voter Vert… si les Verts s’occupaient véritablement d’écologie. À la place, ce Parti d’idiots a consacré son œuvre des dernières années à désorganiser le mouvement écologiste, à s’époumoner pour des vétilles et à se diviser en clans identitaires.
Politiques identitaires du désespoir
C’est ce qui est arrivé récemment lorsque la présidente Lorraine Rekmans a claqué la porte en citant les tensions au sein du Parti. La lettre qu’elle a fait parvenir aux médias est d’ailleurs un chef-d’œuvre de désespoir identitaire :
Après trois jours de course au leadership, les six candidats ont dévoilé des allégations sérieuses selon lesquelles le PVC avait été violent envers son chef par intérim, Amita Kutner.
Ces accusations faisaient suite à la tenue d’un rutilant lancement de campagne sur la plateforme Zoom, dans laquelle Amita Kutner aurait été affublé du pronom “elle” par les organisateurs. En tant que personne non-binaire, le chef intérimaire préférait they/he/ille.
Cette erreur de la part de bénévoles aura mené à l’exclusion de la présidente Lorraine Rekmans des comités du PVC parce qu’elle aurait compromis la “sécurité” des membres en laissant une telle chose se produire. Citant les accusations à son égard, Rekmans pointe, dans sa lettre de démission, vers un climat de tension généralisé :
Il faut l’admettre, les accusations de violence ont été instrumentalisées à plusieurs reprises dans des tentatives d’expulser des gens du parti.
D’après Rekmans, les ambitions et l’appât du maigre pouvoir auraient poussé certains à se lancer dans une logique d’épuration, chassant tour à tour les éléments rassembleurs pour mieux s’approprier le peu d’autorité qu’il y avait à grappiller chez les Verts.
Devant ces accusations de “protéger un système de comportements violents envers les personnes noires, autochtones et de couleur, de même qu’envers les personnes LGBTQIA2+”, le Conseil Fédéral du Parti a pris la décision de reporter la course au leadership. Aux dernières nouvelles, Mike Morrice et Elizabeth May, les deux seuls députés du Parti à être élus au Parlement, menaçaient de démissionner et de provoquer l’écroulement complet de la formation si la course n’avait pas lieu.
Écosocialistes sans société
Cet épisode n’est pas sans rappeler la saga qui avait mené à l’implosion du parti Écosocialiste de Colombie-Britannique à l’automne 2020 quand le leader Stuart Parker avait démissionné dans la foulée d’un scandale désespérant.
Les mêmes accusations d’entretenir un climat “non sécuritaire” avaient alors été soulevées parce que le chef avait pris la défense d’une employée harcelée par des membres pour avoir “liké” sur les réseaux sociaux la photo d’un panneau publicitaire en hommage à l’écrivaine JK Rowling. Les accusations de transphobie avaient alors volé de toutes parts, et Stuart avait jeté la serviette.
La conséquence directe de cet abandon, alors que la province entrait en élection, fut que les écosocialistes ne présentèrent finalement aucun député. Au lieu de s’organiser, de mettre de côté certaines différences (qui de toute façon n’en étaient pas) pour s’unir et changer les choses, une poignée d’internautes en état de colère performative ont eu raison du Parti.
Sous-cultures politiques
Depuis quelques années, les milieux militants ont été presque complètement dématérialisés pour se retrouver dans la sphère Internet. Pour le meilleur et pour le pire, cette accessibilité nouvelle a permis à plusieurs personnes qui n’étaient pas à la base politisées d’avoir l’impression de faire partie de quelque chose.
Déjà, dans les années 1980-1990, plusieurs sociologues ont commencé à s’intéresser à l’atomisation des sociétés en différentes sous-cultures. Devant l’uniformisation des discours par les médias de masse, la réaction logique, pour une partie de la jeunesse, était de s’identifier plus précisément à des ensembles restreints : punks, mods, rappeurs, gothiques ou autres, selon les époques.
Dans les années 1990, la sociologue Sarah Thornton s’est intéressée à ces phénomènes en s’inspirant de Pierre Bourdieu pour établir la notion de "capital subculturel”. Pour Bourdieu, le capital culturel était un ensemble de savoirs et de pratiques culturelles accumulés qui confèrent un certain statut social à ceux qui le possèdent :
Les idéologies subculturelles sont des moyens par lesquels les jeunes imaginent leur propre groupe social et ceux des autres, ce qui leur permet de se distinguer de la masse anonyme.
Pour Thornton, cette disposition affecte plus spécifiquement les jeunes qu’elle observe dans la culture des boîtes de nuit britanniques des années 1990, mais il serait possible de se demander si cet usage ne se serait pas aujourd’hui radicalisé :
Le capital subculturel confère un statut à ceux qui le possèdent dans les yeux des membres d'un même groupe. Il affecte le standing des jeunes de plusieurs façons, comme son équivalent adulte. Le capital subculturel peut être chosifié ou personnifié.
D’après la sociologue, dans les années 1990, la principale différence entre le capital culturel et le capital subculturel était que l’espace médiatique officiel se faisait le relai du premier et pas de l’autre. Internet viendrait définitivement modifier cette réalité en faisant siennes les différentes sous-cultures d’utilisateurs qui ne seraient plus seulement des “jeunes”, mais des scènes ouvertes auxquelles participeraient un ensemble plus large d’individus.
Influence du Nexus dans l’auto-destruction des Verts
Les pratiques des militants en ligne sont intéressantes à observer dans cette optique sous-culturelle. Comme pour les sous-cultures, il est possible de personnifier des attributs culturels, que ce soit en bien, ou en mal. C’est ce qui est arrivé, par exemple, à l’employée écosocialiste, contaminée par la transphobie pour s’être trop approchée (même virtuellement) de JK Rowling, elle-même porteuse de la lettre écarlate.
Un ensemble de pratiques linguistiques peuvent d’ailleurs être associées à la scène des militants en ligne : la notion de “sécurité”, les expressions LGBTQIA2+ ou BIPOC, l’insistance sur la “violence”, l’accusation d’être une TERF (Féministe excluant les trans), les comportements ou les propos qualifiés de “problématiques”…
Ces expressions sont ce que les linguistes appellent des “shibboleth”, c’est-à-dire des termes utilisés pour discriminer les locuteurs en tant que faisant partie ou non d’un groupe social. Ce sont, en somme, des expressions du capital subculturel davantage que des outils de réflexion.
Du hip au mainstream
Dans les années 2020, la frontière entre ce qui est hip et mainstream est beaucoup plus poreuse qu’elle ne l’a été au 20e siècle. Il ne faudrait pas pour autant suramplifier la portée réelle des discours issus des sous-cultures internet. Ceux qui détiennent le capital subculturel de la militance représentent une part très limitée de la population : artistes, communicateurs, universitaires et autres membres de la classe professionnelle et managériale.
Leur pouvoir réel demeure anémique parce qu’il a peu d’ancrage dans les structures sociales et les moyens de production, si ce n’est que dans les milieux restreints des arts, de l’enseignement et des communications. Il suffit de voir comment une poignée de camionneurs a pu bloquer Ottawa en 2021 pour comprendre que le pouvoir “en dur” compte encore à ce jour.
Un semi-remorque Freightleiner sera toujours plus persuasif qu’un commentaire offusqué sous une publication Facebook. Tenter d’imposer la raison de celui qui crie le plus fort est une invitation à la raison du plus fort. Cela ne veut pas dire pour autant que le reste de la société n’est pas témoin de ces éruptions performatives, mais elles ne représentent qu’un spectacle pour la vaste majorité de la population.
Un peu comme à une autre époque les frasques de Sid Vicious pouvaient être suivies avec attention par tout un chacun, sans pour autant qu’on essaye de les reproduire à la maison, l’espace militant, plein de bruit et de fureur, est une scène où se joue le théâtre des passions.
En cédant ainsi à une microminorité d’acteurs, les Verts tombent dans le piège subculturel d’une politique exclusivement spectaculaire. Ce n’est pas parce que le capital subculturel est observable depuis la culture mainstream qu’il est pour autant monnayable dans celle-ci. Leurs résultats électoraux sont à l’avenant.
Les politiques identitaires, quand elles sont employées pour des ambitions individuelles, sont l’opposé de la politique. Elles servent à établir le statut d’individus au sein de groupes restreints, mais ont peu d’impact dans le monde concret. Là où devraient se forger des alliances et une organisation “en dur” pour combattre le réchauffement climatique, les Verts n’auront réussi qu’à s’enfoncer dans des divisions aussi pathétiques que spectaculaires.
C’est d’autant plus déplorable de voir des mots comme « violence » être récupérer pour des erreurs. Tout n’est pas violence. Ça gosse.