Conservateurs et islamistes réunis dans la panique anti-trans
Grande colère du Père Duchesne contre les identitaires de tout acabit
Ça fait longtemps que je le dis, mais les conservateurs québécois ont beaucoup plus en commun avec les islamistes qu’ils ne sont prêts à l’admettre. Ce cher Adil Charkaoui — que quelques-uns connaissent pour ses activités de radicalisation au Collège de Maisonneuve et que d’autres connaissent mieux pour son compte Twitter fort divertissant —, diffusait récemment sur sa chaîne YouTube une vidéo intitulée “Idéologie du genre dans les écoles: le rôle des parents”. Côté Journal de Montréal, ce vaillant Mathieu Bock-Côté pondait pour sa part un article ci-nommé “Théorie du genre: les faux experts et les conspirationnistes de gauche déforment le débat”. Charkaoui et Bock-Côté devraient se parler.
L’occasion de ces sorties était bien évidemment la 1 Million March 4 Children, un événement pancanadien qui avait l’air d’une blague au départ, jusqu’à ce que ce que ça n’en soit plus vraiment une. Les images, il faut le dire, avaient de quoi impressionner, avec des milliers de manifestants réunis le 20 septembre dernier à travers le Canada pour dénoncer l’enseignement des “théories du genre” à l’école.
J’en parlais il y a deux semaines dans mon article sur les influenceurs panafricanistes, mais l’opposition aux droits LGBTQ+ est devenue la cause commune de toutes les droites à travers le monde. De Poutine et son combat contre le “pédosatanisme” aux nationalistes hindous qui s’opposent à Trudeau et à son agenda “homoglobaliste”, nous sommes aux prises avec une vague de fond qui sera difficile à endiguer.
L’an dernier, je m’intéressais, par exemple, à l’élection de la première ministre italienne Giorgia Meloni, dont le discours contre les “théories du genre” avait été le tremplin de sa campagne victorieuse. La formule fonctionne. Les libéraux, qui ont fait des “identités de genre” un des totems de leur programme politique, ne devraient pas s’étonner de voir leurs adversaires essayer de l’abattre.
Pour en finir avec l’intersectionnalité
Ils ont été nombreux, les commentateurs, à souligner l’ironie de voir des femmes voilées, que les libéraux se sont obstinés à défendre ces dernières années, se retrouver dans une manif anti-LGBTQ+. Pour certains libéraux (et c’est bien la seule chose que je peux concéder à Bock-Côté), il a fallu aller jusqu’à expliquer cette réalité par des théories du complot. Ce serait un autre cas d’“astroturfing” : ces femmes, dépourvues d’agentivité, auraient été manipulées par des capitaux étrangers.
La vérité c’est que nous en arrivons à une aporie de la pensée libérale. L’existence politique ne s’explique pas par un croisement dominations duquel émergerait une communauté de droits. Les forces qui s’exercent sur les masses sont celles de la dépossession, et les victimes de l’histoire n’ont pas fini de s’entredéchirer si elles s’accrochent aux discours identitaires comme finalité politique.
Laisser le subalterne parler
J’ai essayé d’aborder le sujet de la manifestation en classe, mais il a fallu que je me démène pour que les étudiants finissent par parler. Je sais que plusieurs d’entre eux sont du bord de la marche “4 Children”, mais j’ai dû ramer pour qu’ils l’admettent. En gros, j’ai dû dire : “des gens comme moi ont mis des lignes rouges partout, et maintenant vous ne dites rien, mais ça ne vous empêche pas de penser ce que vous voulez”. J’ai fait le dessin de la ligne rouge sur le sol, comme si je m’encerclais dans une bulle. Ça les a fait rire, et puis rien.
Après le cours, un étudiant est venu me voir, un Palestinien, musulman pratiquant. Je le sais parce que nos discussions portent souvent là-dessus, sur l’Islam et la chrétienté, sur Dante, sur Baudelaire… Il m’a dit qu’il avait été invité à la marche et qu’il aurait aimé y aller. Je lui ai demandé pourquoi et il m’a répondu que son petit frère était à l’école et qu’il était trop jeune pour être exposé à l’homosexualité.
Cet argumentaire est, je le concède, un peu entendu, mais c’est ce qu’il a dit après qui devrait nous intéresser. Les étudiants venaient de voter une grève pour le climat et il a fini par dire : “Je ne m’intéresse pas à la politique. Ça ne sert jamais à rien”.
“Ça ne sert jamais à rien”
Comment quelqu’un qui ne s’“intéresse pas à la politique” peut-il vouloir aller dans une manifestation contre les “théories du genre” ? Je me répète, mais je pense qu’il est temps de comprendre que la théorie du complot — ici d’un complot LGBTQ+ — sert d’ersatz de discours politique à une partie grandissante de l’humanité, dépossédée d’avenues autres pour incarner son désarroi et l’exprimer politiquement.
On cite souvent cette phrase de Montalembert, “Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même”, en oubliant que l’homme était un opportuniste qui s’est rallié, en 1851, à la dictature de Louis-Napoléon Bonaparte. Montalembert, par sa maxime, n’émettait pas tant une mise en garde qu’il énonçait un programme politique : celui des fossoyeurs de peuples, qui font en sorte que la politique “s’occupe d’eux”.
Difficile de ne pas voir une récurrence de ce programme à l’ère du trumpisme. Encore récemment, des conservateurs américains lançaient en grande pompe le Project 2025, un plan financé par des contributeurs républicains, dont l’objectif est de placer des gens de droite au sein de l’appareil d’État dans le but de faire l’épuration du “Deep State”. Pendant que certains s’époumonent contre les “théories du genre”, le plan pour s’occuper d’eux est bien en marche.
Ce qui n'était qu'une petite poche de résistance, et qui ne me faisait pas peur, est devenu un mouvement de masse. Peut-être pas une majorité, mais assez pour faire annuler des loi pro-LGBTQ ou en promulguer d'autres qui discriminent ce groupe de la société. En 2023, j'ai commencé à prendre conscience de cette réalité et j'ai commencé à avoir peur.