Avouons-le, le hockey est devenu un sport de merde
Grand ennui du Père Duchesne face aux exploits sportifs
Plusieurs habitants de la colonie ont eu le malheur de regarder le septième match de la Finale de la Coupe Stanley, lundi dernier. Cet épisode de disgrâce s’est soldé par la défaite de 2-1 des Oilers d’Edmonton face aux Panthers de la Floride, une équipe sans âme née de l’expansion de la ligue dans les années 1990 vers les marchés du Sud des États-Unis. L’insulte n’aurait pas été complète sans un discours de Gary Bettman, qui est commissaire de la Ligue Nationale de Hockey sur glace depuis 1993. S’adressant à la foule “en liesse” du Amerant Bank Arena, situé à Sunrise en banlieue de Fort Lauderdale, Bettman en a profité pour déclarer triomphalement : “Il y a 30 ans, Wayne Huizenga, a eu la vision d’amener la LNH dans le Sud de la Floride”. Ce coup de poignard dans le cœur de n’importe quel amateur de hockey n’aurait été complet sans les images de fans des Panthers, dont la joie avait l’air partagée entre l’exaltation de la victoire et l’idée de devoir retrouver leur SUV dans le parking après la cérémonie.
Les Oilers, quant à eux, sont une équipe née de l’expansion de 1979, qui a vu l’ajout des équipes de la World Hockey Association qu’étaient aussi les Whalers de Hartford, les Jets de Winnipeg et les Nordiques de Québec. La franchise a connu ses heures de gloire dans les années 1980, alors qu’elle a vu passer dans ses rangs des joueurs comme Wayne Gretzky, Mark Messier, Kevin Lowe, Jari Kurri et Paul Coffee… À l’époque, le choc pétrolier avait aidé largement l’Alberta à se développer. La hausse soudaine des prix du pétrole dans la foulée du conflit israélo-palestinien avait propulsé l’intérêt pour le pétrole canadien. La ruée vers l’or noir avait alors provoqué le développement accéléré d’Edmonton et de Calgary, la population de la province augmentant du tiers en l’espace de quelques années. La structure sociale de l’Alberta s’est donc échafaudée autour de l’extraction pétrolière, et les deux équipes professionnelles de hockey de la province portent des noms qui gardent la trace de cette réalité : les Oilers d’Edmonton et les Flames de Calgary.
Outre cet aspect identitaire, le hockey sur glace occupe plus généralement une place importante dans l’imaginaire canadien. Le sport aurait été inventé au 19e par les garnisons anglaises stationnées dans la colonie, qui n’avaient pas grand-chose à faire en attendant une invasion américaine qui, après 1812, ne menaçait plus tellement d’arriver. Pour chasser un ennui hivernal typiquement canadien, ils auraient alors opéré un croisement entre le patin sur les lacs gelés et d’autres sports de bâton, pour donner la forme primitive du hockey. Certaines genèses — sans doute plus folkloriques que réelles — font même remonter l’invention du sport jusqu’au jeu de crosse pratiqué par les Mi’kmaq et les Haudenosaunee. Aussi bien dire que le hockey fait partie du mythe des origines au Canada, peut-être plus encore que le football-association au Royaume-Uni.
Vers la fin du 19e siècle, comme c’est le cas de beaucoup d’autres sports, l’activité commence à s’organiser en clubs et en ligues, jusqu’à la naissance, en 1917, de la Ligue Nationale de Hockey. Le début est cahoteux. En pleine Première Guerre Mondiale, l’une des équipes, celle du 228e Bataillon de Toronto, est même appelée au Front. La ligue connaît plusieurs faillites et remaniements jusqu’à ce qu’elle atteigne une forme plus stable dans les années 1940, autour de six équipes survivantes : les Canadiens de Montréal, les Bruins de Boston, les Blackhawks de Chicago, les Red Wings de Detroit, les Maple Leafs de Toronto et les Rangers de New York. Cette sélection, que les amateurs de hockey surnomment les “Original Six”, revêt un caractère primordial. C’est en quelque sorte un temps de fondation mythique qui s’étirera jusqu’à la première expansion de la ligue en 1967.
Télédiffuser et diluer
À l’époque, le sport professionnel connaît une petite révolution avec l’arrivée de la télévision. Même si la télédiffusion du sport existe depuis les Jeux Olympiques de Berlin en 1936, les techniques permettant de rendre le son et l’image vont se raffiner de manière à permettre aux événements sportifs de rejoindre un public large. D’une industrie du spectacle qui se jouait essentiellement en présence ou par les journaux et la radio, le hockey va devenir un spectacle télévisuel attirant des revenus publicitaires croissants. Un peu comme d’autres sports l’ont connu, la période des années 1970 voit une véritable industrialisation du hockey sur glace, dont les revenus explosent avec la médiatisation de masse.
Ce succès suit l’expansion de la ligue vers de nouveaux marchés. Dès 1967, les Seals de la Californie et les Kings de Los Angeles viennent ajouter deux équipes sur la Côte Ouest, jusqu’alors boudée, alors que les Pingouins de Pittsburgh, les North Stars du Minnesota, les Blues de Saint-Louis et les Flyers de Philadelphie occupent des marchés plus traditionnels. Six autres équipes vont s’ajouter au cours des années suivantes. À l’époque, cette transition ne fait pas l’unanimité. Comme l’écrivait Mordecai Richler dans un article de Sports Illustrated publié en 1972 :
D’un point de vue social plutôt qu’esthétique, il doit être dit que la cause du déclin en qualité — une expansion fiévreuse de six à seize équipes en à peine six ans — a permis à des joueurs âgés et médiocre, tout comme à des hommes d’affaires ratés, de prendre tranquillement leur retraite en Californie, la permissive Californie où ils peuvent continuer à jouer péniblement devant le regard bienveillant de fans ignorants qui ne peuvent simplement pas apprécier le hockey aussi bien que nous1.
Dès les années 1970, donc, le hockey est aux prises avec les tensions entre l’expansion vers des marchés non traditionnels, où il est considéré comme un simple divertissement moins populaire que le baseball ou le football américain, et des marchés plus classiques où il a une réelle importance culturelle et sociale. C’est le cas de Montréal, où l’équipe joue à la fois un rôle de ciment social et de cristallisation des tensions politiques. À Montréal, c’est au bien nommé Forum que toutes les communautés de la ville, anglophones comme francophones, peuvent se rejoindre, mais là aussi où peuvent s’exprimer plus ouvertement certaines tensions politiques. En 1993, par exemple, alors que les Canadiens de Montréal remportent la finale de la Coupe Stanley en cinq matchs contre les Kings de Los Angeles, des émeutes éclatent et font 168 blessés. Comme l’écrivait récemment Taylor C. Noakes dans les pages de Jacobin, les émeutes de la Coupe Stanley surgissent à un moment où la ville, profondément affectée par la désindustrialisation et un taux de chômage élevée, est marquée par les tensions entre la police et les citoyens2.
Hockey dépolitisé
C’est à la même époque, toutefois, que Gary Bettmann, anciennement gestionnaire dans la NBA, est nommé commissaire. Il hérite d’une ligue où les équipes des marchés traditionnels du Nord-Est américain peinent à rejoindre les deux bouts à cause de la désindustrialisation et de la trop grande segmentation des marchés. Sa solution sera d’épurer la ligue en chassant des franchises non rentables comme les Nordiques de Québec, les Jets de Winnipeg et les Whalers de Hartford pour les réinstaller ailleurs aux États-Unis dans des endroits aussi improbables que Raleigh en Caroline du Nord ou Phoenix en Arizona, en plus de créer de toutes pièces des franchises exotiques comme les Panthères de la Floride, les Sharks de San José ou les Mighty Ducks d’Anaheim.
L’équipe d’Anaheim est sans doute la plus emblématique de cette époque. En 1992, le succès du film Mighty Ducks, mettant en scène Emilio Estevez dans le rôle du coach d’une équipe de hockey junior, pousse la compagnie Walt Disney à demander à la Ligue Nationale d’acquérir une équipe d’expansion pour l’installer à Anaheim, en banlieue de Los Angeles. Cette expansion Disney suscite, bien sûr, l’ire des amateurs, qui soulignent le caractère absurde et désincarné de l’entreprise. Peine perdue. Après 30 ans de régime Bettman, la ligue Disney semble aujourd’hui résolument implantée, et des équipes débiles comme le Lightning de Tampa Bay ou les Golden Knights de Las Vegas sont parmi les illustres gagnants des dernières éditions de la Coupe Stanley.
Arrive alors la saison 2023-2024 et l’improbable remontée des Oilers Edmonton, alors qu’ils tiraient de l’arrière 3-0 dans la finale de la Coupe Stanley (la première équipe à gagner 4 matchs remporte la série). Aucune équipe canadienne n’a touché au trophée depuis 1993 et, dans un rare moment d’unité, même les plus indécrottables indépendantistes québécois ne pouvaient faire autrement que de se tenir derrière David contre Goliath. Le joueur-étoile des Oilers se nomme d’ailleurs Connor McDavid, un Ontarien que certains surnomment parfois McDieu. C’est sans contredit l’un des meilleurs joueurs de sa génération, et il se démène avec deux matchs de quatre points pour remonter le retard de son équipe, pour finalement arriver au septième match où tous les espoirs sont permis. Peine perdue. Les Panthères l’emportent dans un match ennuyeux qui se termine 2-1, grâce à un arbitrage encore désastreux.
Un sport de merde
Les dernières années ont vu la patience des amateurs de hockey être mise à rude épreuve. En plus de la grande désincarnation de la LNH, les nouvelles n’ont pas été trop bonnes pour le sport. La publication de rapports accablants sur les commotions cérébrales ont remis en question la pertinence de certaines pratiques comme les bagarres en plus de jeter un doute sur la manière dont le sport a évolué. En effet, l’arrivée d’équipements plus perfectionnés et une réglementation plus laxiste, pour favoriser le jeu offensif, ont augmenté la vitesse et le risque de commotions. Si le danger est peut-être acceptable lorsqu’il s’agit de régler une fois pour toutes la rivalité entre Montréal et Toronto, voir des joueurs risquer leur santé pour un match entre les Coyotes de Phoenix et les Sharks de San José, dont tout le monde — même leurs fans — se contrefichent, n’a pas tout à fait la même portée.
Il faut ajouter à cela une culture du hockey généralement nauséabonde, qui encourage, par exemple, le travail des enfants avec des organisations comme la Ligue de Hockey Junior Major du Québec, où des mineurs sous-payés jouent devant des stades remplis au lieu de terminer leurs études. Les jeunes hockeyeurs sont souvent des fils de familles aisées, blancs et surprotégés par des milieux qui en font rapidement des stars locales à qui tout est excusé, surtout leur bêtise. À cela s’ajoute un racisme endémique qui a vu des joueurs brillants comme l’ancien joueur du Canadien P.K. Subban, sorte de bouffée d’air dans ce système, se faire accuser de jouer “comme au basketball” parce qu’il avait la peau noire.
Certains diront que le hockey n’appartient pas qu’aux professionnels, mais les dernières années ont été difficiles pour les petites ligues qui ont décliné un peu partout à cause de différents facteurs. Dans les années 1970, une multitude de ligues semi-professionnelles et professionnelles pouvaient encore profiter de la manne des billets, de la radio et des journaux locaux, mais cet écosystème médiatique à petite échelle, qui existait au 20e siècle, est désormais une chose du passé. Un peu comme c’est le cas avec le football européen, les petites équipes locales peinent à survivre, quand elles survivent. C’est sans doute ce qu’il y a de pire dans le discours de Bettman : le triomphe absolu sur le marché nord-américain du hockey, une victoire qui a certes permis à bien des propriétaires d’équipe de devenir milliardaires sur papier, mais qui s’est gagnée au prix de la dévaluation générale du sport en tant qu’objet culturel et social. Le “hockey, inc.” vaut aujourd’hui plus cher que jamais, mais c’est aussi résolument devenu un sport de merde.
Les aventures de la LNH ne m’ont jamais intéressées et ce texte expose exactement les raison du pourquoi.
Effectivement.
J'avais cessé de le regarder quand le Canadien a échangé son gardien Roy.
10 ans plus tard j'ai recommencé à le regarder, ressentant un peu de plaisir à voir une équipe de jeunes avec Therrien qui foutait un peu la merde dans les pronostics des experts. Et aussi j'avais du fun avec ma fille.
Le coup de grâce est arrivé quand la direction du Canadien a échangé Subban, une bouffée d'air frais. Là, je me suis dit que, effectivement, le hockey (et le sport professionnel en général), c'est de la merde. Je vais perdre mon temps avec autre chose.