Contre Northvolt, les saboteurs n’ont pas tout à fait tort
Le Père Duchesne à la défense des saboteurs
Ils étaient nombreux, cette semaine, à parler d’“écoterrorisme” et à appeler de leurs vœux l’arrestation rapide des coupables après la découverte d’“objets incendiaires” sous des machines appartenant au site de la future usine de batteries Northvolt en Montérégie. La découverte a suscité l’émoi dans notre tranquille province. Partout dans les médias, on s’indignait du risque posé par lesdits objets, dont la nature demeure encore à ce jour imprécise. Tout au plus sait-on, d’après les informations évasives de la police, qu’ils auraient été munis d’un “dispositif de déclenchement” qui ne se serait pas activé. Le reste est ouvert à notre imagination.
À l’Assemblée Nationale, le Ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie Pierre Fitzgibbon, condamnait les “barbares”. Même l’ancien chef du Bloc Québécois Gilles Duceppe, qu’on croyait mort depuis longtemps, dénonçait les “terrorisses” sur les ondes de la télé d’État. Chez TVA Nouvelles, Mathieu Bock-Côté, semble-t-il tout frais revenu de sa cure à Saint-Germain-des-Prés, se délectait de la menace terroriste posée par les “anticapitalistes radicaux”. Interviewé alors qu’on n’en demandait pas tant, le vire-capot Steven Guilbault, ancien carriériste de l’écologie devenu aujourd’hui Ministre de l’Environnement, s’est empressé d’avouer avoir goûté à la “désobéissance civile” dans son jeune temps, sans jamais avoir pour autant sombré dans la violence, si ce n’est la violence envers son cœur d’enfant, la possibilité d’un monde meilleur et ses rêves de jeunesse. Tous étaient donc réunis pour dénoncer les saboteurs.
L’usine Northvolt, sensée devenir un fleuron de la filière batterie au Québec, est un projet dont le parcours cahoteux a été marqué par les irrégularités et les passe-droits. Financé à hauteur de 2.7 milliards de dollars par les fonds publics, le projet de la multinationale suédoise a été moussé comme un accomplissement par le gouvernement de la CAQ, qui s’est empressé de lever les contraintes environnementales, notamment la tenue d’audiences publiques prévues par la loi, pour que l’usine puisse être construite sur un milieu humide d’intérêt pour la faune et la flore. Ce court-circuit n’a pas fait l’affaire des groupes écologistes, qui essayent depuis lors de contrecarrer le projet, ce qui a culminé cet hiver par de petits sabotages comme l’insertion de clous et de tiges de métal dans les arbres du site pour briser la machinerie qui devait les couper ou comme le vandalisme à la peinture d’un organisme chargé de faire du greenwashing pour le compte de Northvolt.
Une tendance mondiale
Il faut dire que l’initiative des militants québécois s’inscrit dans une tendance globale de radicalisation du combat écologique face à l’urgence climatique. En Angleterre, un groupe comme Just Stop Oil s’est fait connaître ces dernières années par ses actions de vandalisme à la peinture orange. En France, les manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline en 2022 ont donné lieu à des affrontements violents avec la police… En comparaison, l’Amérique du Nord est bien tranquille… Il est donc surprenant de voir de tels gestes être commis dans notre paisible colonie.
Toujours est-il que le résultat, bien que limité, est là pour prouver que la méthode est efficace : sur les ondes de Radio-Canada, une apparatchik admettait que l’absence de consultation était un problème, un autre appelait à boucler le site avec des agents de sécurité, et la police retardait les travaux sur le site pour son “enquête”. Résultat : des délais, des coûts supplémentaires et la “voix de la raison” qui appelle à l’apaisement par un retour au processus démocratique. Les habituels énergumènes du commentariat ont beau s’égosiller à propos d’“objets incendiaires”, une sorte de constat général s’impose : même si le Père Duchesne n’inciterait personne à commettre des gestes aussi risqués, le “terrorisme” est finalement une solution bougrement efficace pour faire avancer la cause écologique. J’écris bien sûr “terrorisme” entre guillemets parce que je ne suis pas bien sûr que quiconque ait cherché à répandre la Terreur chez nos concitoyens et concitoyennes (ni même qu’il s’agisse d’une catégorie bien utile pour y réfléchir).
C’est d’ailleurs ce qu’avançait le militant écologiste Andreas Malm, dans son ouvrage How To Blow Up A Pipeline, mais l’action violente a souvent accompagné les mouvements non-violents. Comme Malm le souligne, l’action pacifique de quelqu’un comme Gandhi, par exemple, n’aurait jamais pu se réaliser s’il n’avait pas incarné une alternative à un mouvement plus violent d’opposition à l’Empire britannique caractérisé par les émeutes et le terrorisme. Les mouvements violents et non-violents agissent donc souvent de concert en permettant à une partie des défenseurs d’une cause de se présenter comme une version plus modérée de celle-ci.
Quelle violence ?
À cela, il faudrait ajouter que le terme “violence” est imprécis. Ici, cette violence est à comprendre comme une attaque contre des biens et non contre des personnes. À la violence matérielle des militants, il serait possible d’opposer la violence d’État qu’appellent de leurs souhaits des gens comme le Ministre Benoit Charette, qui disait “espérer que la police puisse identifier les responsables et les arrêter”. C’est là où la surenchère devient palpable.
Alors que des citoyens et des citoyennes auraient tout lieu de vouloir intervenir pour rétablir un tant soit peu de démocratie dans les consultations publiques, la tendance autoritaire du capitalisme vert s’impose de manière toujours plus résolue. Ça a été le cas en France lors de la révolte des Gilets Jaunes, dont l’origine était la taxe carbone, une mesure régressive qui pénalisait les régions périurbaines et rurales, mais la tendance est souvent de court-circuiter le processus démocratique pour imposer des mesures venues d’en-haut. Cette dépossession de la souveraineté populaire combinée à l’immobilisme généralisé et à l’impuissance de la politique partisane en poussent plusieurs à se demander en quoi nos États sont-ils véritablement démocratiques ? Devant cette impasse, la radicalisation vient d’elle-même.
Contre le capitalisme vert
Le choix de Northvolt comme cible peut en intriguer d’autres : pourquoi, après tout, s’en prendre à une usine de batteries pour les voitures électriques et pas à un pipeline ou à une cimenterie? La réponse est à trouver dans le discours qui sous-tend l’implantation de la filière batterie. Loin du miracle, la voiture électrique est jusqu’à maintenant une catastrophe écologique et humanitaire, tant parce que les métaux rares qu’elle contient sont obtenus dans des conditions médiévales que parce que la construction de ces voitures demande considérablement plus de ressources qu’une voiture à essence.
Plusieurs s’endettent pour acheter ces véhicules. Ils pensent agir pour le bien commun quand, dans les faits, ils empirent un peu moins la situation. Nous le savons tous, la solution ne passe pas par consommer mieux, elle passe par consommer moins. Il faut moins de voitures sur les routes, point. La seule manière d’y arriver ce n’est pas l’initiative individuelle ou la culpabilisation, c’est d’agir collectivement pour penser des modes de transports plus efficaces. Tous ces projets, qu’il s’agisse de liaisons ferroviaires entre les villes, de stations de métro ou de densification urbaine demandent des investissements considérables, qui seraient beaucoup plus utiles dans des infrastructures que dans une usine de batteries bientôt dépassées appartenant à des actionnaires suédois.
La logique du capital est d’extraire toujours plus. Extraire des ressources, du travail, mais toujours extraire, générant au passage des déchets, toujours plus de déchets : poubelles, microplastiques, CO2… Peu importe que cette extraction soit supposément “verte”, elle pèsera sur les écosystèmes. Tant que nous serons dans cette fuite en avant, nous n’arriverons pas à empêcher le désastre. Dans cette perspective, on peut facilement comprendre le saboteur qui tente d’enrayer la machine. Ce n’est peut-être pas la chose la plus intelligente à faire, ni la plus productive d’un point de vue politique, mais le geste du saboteur a son effet, et il porte en lui un espoir. Il a surtout des racines profondes dans le doute que nous avons tous face à des institutions qui servent un système avant des citoyens. Ils ne le diront pas à la télé, mais les saboteurs sont parfois de ceux qui défendent encore la démocratie.
L'objectif n’est pas de détruire les usines et les pipeline, l’objectif est que la masse exploitée en prenne le contrôle afin de réorienter la production vers une sortie du capitalisme et la création d’une société d’abondance dans laquelle chaque personne peut s’épanouir sans devoir détruire systématiquement la base qui nous soutient : la nature.
Le problème que j'observe avec ces actions aventuristes alors qu'il n'y a pas de base populaire en action, c'est qu'elles sont faites à grands risques, avec aucun gain (qu'on en parle dans les médias bourgeois me semble être l'illusion d'un gain).
Ces actions forcent les anarchistes à se couper des masses et à opérer à l'intérieur de groupes sectaires refermés sur eux-mêmes.
Un excellent texte de Trotsky sur ce sujet: Pourquoi les marxistes s'opposent au terrorisme individuel
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1911/110000.htm
Et pour aller plus loin:
https://marxiste.qc.ca/article/theorie-marxiste-et-anarchiste