L'écoterrorisme est-il la prochaine étape ?
Les bons avis du Père Duchesne à qui voudrait se lancer dans le sabotage
On raconte que Jacques-René Hébert, l’auteur de la première mouture du Père Duchesne (à laquelle cette infolettre doit son nom), passa la nuit précédant son exécution à pleurer comme un veau et à crier au secours. Ce manque de contenance contrastait assez fortement avec le ton vitupérant du Père Duchesne de l’époque qui, à traits de “bougre” et de “foutre”, n’hésitait pas à inciter à l’insurrection et à condamner ses adversaires à la guillotine.
Hébert fut d’ailleurs l’un de ceux qui insista le plus pour qu’on “raccourcisse” le Roi Louis XVI. Pour ceux qui le suivraient sur l’échafaud dans les deux années suivantes, le Père Duchesne redoublerait d’innovations lexicales comme “faire la bascule”, “éternuer dans le sac” ou “essayer la cravate à Capet”… Ironie du sort, le 4 germinal de l’An 2, ce serait au tour d’Hébert lui-même de “passer la tête par la fenêtre de la République” et de se faire raccourcir d’une tête.
Depuis, le Père Duchesne doit se garder un chouïa de gêne pour ce qui est de destiner ses semblables au hachoir. C’est pour cette raison, entre autres, que sa nouvelle incarnation reste partagée à la lecture d’How To Blow Up A Pipeline du militant suédois Andreas Malm, un livre convaincant dont les conclusions sont difficiles à pousser jusqu’au bout.
Contre le pacifisme
Si je prends des précautions, c’est que le titre de Malm n’est pas à prendre au deuxième degré. L’activiste plaide, dans ce court essai, pour que le mouvement écologiste ait recourt au sabotage, notamment en faisant péter des pipelines, en s’attaquant aux SUV de luxe, mais aussi en s’en prenant aux jets privés et aux yachts des ultra-riches.
Pour Malm, ces méthodes permettraient d’affecter la rentabilité des énergies fossiles, ne serait-ce que par l’augmentation des coûts d’assurance et de sécurité, et de semer plus généralement la terreur pour forcer la main des gouvernements. Pour être clair, Malm prône l’usage de la violence contre les biens, mais pas contre les personnes, qu’il juge immorale et contreproductive.
Il appuie sa réflexion sur une analyse convaincante de différents mouvements pacifistes, comme la lutte pour les droits civiques, le combat contre l’Apartheid ou l’indépendance de l’Inde. Dans chacun de ces cas, le mouvement pacifique était secondé par des marges violentes, que ce soit avec des armes, des émeutes ou des attentats, qui permettaient aux “pacifistes” de présenter une alternative viable au pouvoir en place.
D’après le Suédois, cette dualité pourrait servir le mouvement écologique. Il doit y avoir une marge plus effrayante et un mouvement pacifiste plus “mainstream” pour que les choses arrivent à bouger.
De la violence comme outil politique contre le désespoir
On peut reprocher à Malm de ne pas être le plus fin des théoriciens, mais il y a quelque chose d’excitant dans un travail qui envisage une stratégie enfin éloignée des vœux pieux ou de la sidération. D’ailleurs, la dernière partie de son ouvrage est consacrée à des règlements de comptes plutôt comiques avec quelques tendances qu’il juge nuisible. Malm ironise, par exemple, sur le côté foncièrement privilégié du pacifisme-spectacle d’Extinction Rebelion en citant leur slogan mal avisé : “We are engineers. We are lawyers. We are doctors. We are everyone”.
Il s’en prend aussi à un écologisme de façade, qui fait grands cas du péril climatique pour justifier son inaction. Dans le livre, ce fatalisme est incarné, entre autres, par le romancier Jonathan Franzen qui “se sent coupable de sa passion ingouvernable pour la conduite automobile et pour les vols intercontinentaux” tout en continuant tranquillement sa vie d’“intellectuel prospère” qui contemple la fin du monde du haut de son perchoir.
Suivant cette logique auto-prophétique, il serait “trop tard” de toute façon. Malm s’insurge contre ce désespoir et montre que rien, dans la science actuelle, ne nous permet de conclure une telle chose. Au contraire, chaque victoire peut sauver des vies en ralentissant la catastrophe. D’où l’urgence d’agir, quitte à casser quelques tuyaux.
Pour ne pas finir en prison
Quand l’adaptation cinématographique d’How To Blow Up A Pipeline est sortie en salle au printemps dernier, plusieurs voix se sont élevées en Alberta pour dénoncer l’“incitation au terrorisme”. Il ne s’agissait pourtant que d’un film, mais L’Alberta Energy Regulator a tout de même émis un avis pour que les infrastructures soient protégées plus étroitement. Ce faisant, ils donnaient raison à Malm. La peur suffisait à les embêter.
Deux raisons, et pas les moindres, restent quand même un peu dans le chemin quand il s’agit de suivre le militant jusqu’au bout. La première, c’est que le Canada a promulgué une loi en 2015 qui interdit l’apologie du terrorisme, et que le Père Duchesne aime bien prendre l’air et regarder les oiseaux. La deuxième, c’est que ce Suédois est lui-même étrangement libre pour quelqu’un qui prône l’action directe.
Le Père se fait peut-être vieux, mais il ne veut pas que vous vous fassiez trop mal non plus. Le vrai courage vient rarement de ceux qui jouent les gros bras. Souvenons-nous d’Hébert. C’est une chose de suggérer aux gens de poser des bombes et de crever les pneus des camions, mais la bravade est facile quand c’est les autres qui risquent leur tête.