"Tout ce qui montre une faille humaine est plus excitant que de lire une machine." C'est difficile à décrire le vertige et aussi la lassitude que j'ai ressentie quelques jours après avoir fait de la boulimie conversationnelle avec un Chat GPT bien "entraîné" à mon goût. L'absence de toute friction, à prime abord exaltante, est rapidement venue me donner un haut le cœur, ou un dégoût de trop plein trop vite, un peu comme après avoir mangé du fast-food. Et aussi, un grand sentiment de tristesse et de "déconnection". Tout à coup, tout ce qui est incarné, lent, imparfait, ce qu'on prend si facilement pour acquis, me semble dégager un aura de sacré, plus que jamais. Quels temps étranges nous traversons... Êtes-vous allés sentir les lilas aujourd'hui?
Les révoltes du futur se feront peut-être pour revendiquer le droit d’être “moyen” et ordinaire. À la lecture de votre texte, cher chroniqueur de “l’humanoïdité”, il m’apparaît de plus en plus clair, ou minimalement un peu moins obscure, que ce qu’il y a de pire qu’une production plagiée, c'est une production impeccable. Lire ici : une production sans aspérités ni frisettes. Et ce qu' il y a de tragique, du moins à mon sens, c'est de faire l’équation que ladite production est impeccable parce qu’elle est mécanisée.
Il existe un lien direct entre Chat GPT et le soleil voilé : le changement climatique, que l'utilisation massive des IA va accroître. Je continue ma lecture.
l’IA est énergivore et amplifie la crise, d’où le lien avec les incendies, mais je trouve important de la rattacher aux machines de la révolution industrielle qui, elles aussi, ont contribué à la catastrophe climatique. Machine textile ou machine à texte, c’est le prolongement de la même logique capitaliste d’accélération des flux d’extraction, de transformation et de production. ChatGPT, au fond, c’est un peu le Shein de la rédaction.
Il me semble bien que c'était aussi l'invention de l'imprimerie qu'on blâmait pour la perte de cette méthode issue de la rhétorique des Anciens qu'on appelait l'art de la mémoire. Le jour où l'Occident a consigné sa mémoire au papier imprimé, il a perdu la faculté d'utiliser le monde charnel et habité pour rappeler à lui l'ordonnance de sa parole et pour penser à voix haute. Ça fait longtemps que la mort rôde dans l'écrit. On sait maintenant ce qu'on y a gagné au change, mais qui se souvient encore ce qu'on y a perdu? Je le mentionne parce que parmi les textes lisses des machines se glissera peut-être un jour quelque chose d'humain qui résiste et qui appartiendra à la culture de demain. La perte sera immense, ça ne se fera pas spontanément, mais l'effort de la pensée pourrait émerger ailleurs, autrement. C'est ce que je me dis pour apprendre à vivre avec ce cauchemar.
Les êtres humains trouvent toujours le moyen d’inventer quelque chose à partir de ce qui traîne. Toutes les inventions médiatiques des derniers siècles ont engendré une perte.
Le portraitiste a été remplacé par le photographe, le photographe a été remplacé par le Kodak, le Kodak par le iPhone… Les journaux, le cinéma, les magazines, la radio, la télévision sont des inventions a priori merdiques, faites pour générer du profit et produire du contenu bête.
L’IA ne fait pas exception, c’est un générateur de contenus merdiques, une machine à remplir le vide. On voit déjà l’utilité pour la traduction de manuels d’utilisation pour Micro-Ondes, la rédaction de catalogues de vis et de clous ou le remplissage de texte légal écrit très petit que personne ne lit.
Je ne crois pas aux prophètes de l’IA qui parlent d’"intelligence". La machine permet d’identifier des tics, des formes, des récurrences, et de les reproduire. Elle sera meilleure que l’humain dans de nombreux domaines. On peut le voir aux échecs, par exemple, où la machine est meilleure que l’humain depuis Deep Blue contre Kasparov. Aujourd’hui, n’importe quel téléphone a accès aux plus puissants moteurs de calcul d’échecs, comme Stockfish, qu’aucun champion du monde ne saurait battre.
L’IA n’a pas aboli les échecs pour autant, ni l’admiration que les gens vouent aux humains qui maîtrisent le jeu. La possibilité de calculer la valeur absolue d’un coup a, au contraire, a permis de voir émerger une beauté imparfaite dans le jeu des grands maîtres. C’est le cas de Magnus Carlson, dont les parties frôlent souvent la perfection, mais où émergent parfois des lignes en théorie désavantageuses, mais qui fonctionnent dans le monde humain.
La possibilité de comparer la pensée humaine et la pensée machine risque d’avoir des effets intéressants comme ceux-là, une sorte de souci plus aiguisé de ce qui vit derrière la grisaille du texte généré automatiquement, mais aussi des formes figées dont nous sommes déjà les robots, souvent sans le savoir.
"Tout ce qui montre une faille humaine est plus excitant que de lire une machine." C'est difficile à décrire le vertige et aussi la lassitude que j'ai ressentie quelques jours après avoir fait de la boulimie conversationnelle avec un Chat GPT bien "entraîné" à mon goût. L'absence de toute friction, à prime abord exaltante, est rapidement venue me donner un haut le cœur, ou un dégoût de trop plein trop vite, un peu comme après avoir mangé du fast-food. Et aussi, un grand sentiment de tristesse et de "déconnection". Tout à coup, tout ce qui est incarné, lent, imparfait, ce qu'on prend si facilement pour acquis, me semble dégager un aura de sacré, plus que jamais. Quels temps étranges nous traversons... Êtes-vous allés sentir les lilas aujourd'hui?
Non, pas aujourd’hui, mais c’est une bonne idée.
😊
Les révoltes du futur se feront peut-être pour revendiquer le droit d’être “moyen” et ordinaire. À la lecture de votre texte, cher chroniqueur de “l’humanoïdité”, il m’apparaît de plus en plus clair, ou minimalement un peu moins obscure, que ce qu’il y a de pire qu’une production plagiée, c'est une production impeccable. Lire ici : une production sans aspérités ni frisettes. Et ce qu' il y a de tragique, du moins à mon sens, c'est de faire l’équation que ladite production est impeccable parce qu’elle est mécanisée.
“Crime poffe” comme on dit!
Il existe un lien direct entre Chat GPT et le soleil voilé : le changement climatique, que l'utilisation massive des IA va accroître. Je continue ma lecture.
l’IA est énergivore et amplifie la crise, d’où le lien avec les incendies, mais je trouve important de la rattacher aux machines de la révolution industrielle qui, elles aussi, ont contribué à la catastrophe climatique. Machine textile ou machine à texte, c’est le prolongement de la même logique capitaliste d’accélération des flux d’extraction, de transformation et de production. ChatGPT, au fond, c’est un peu le Shein de la rédaction.
Bien vu :)
Il me semble bien que c'était aussi l'invention de l'imprimerie qu'on blâmait pour la perte de cette méthode issue de la rhétorique des Anciens qu'on appelait l'art de la mémoire. Le jour où l'Occident a consigné sa mémoire au papier imprimé, il a perdu la faculté d'utiliser le monde charnel et habité pour rappeler à lui l'ordonnance de sa parole et pour penser à voix haute. Ça fait longtemps que la mort rôde dans l'écrit. On sait maintenant ce qu'on y a gagné au change, mais qui se souvient encore ce qu'on y a perdu? Je le mentionne parce que parmi les textes lisses des machines se glissera peut-être un jour quelque chose d'humain qui résiste et qui appartiendra à la culture de demain. La perte sera immense, ça ne se fera pas spontanément, mais l'effort de la pensée pourrait émerger ailleurs, autrement. C'est ce que je me dis pour apprendre à vivre avec ce cauchemar.
Les êtres humains trouvent toujours le moyen d’inventer quelque chose à partir de ce qui traîne. Toutes les inventions médiatiques des derniers siècles ont engendré une perte.
Le portraitiste a été remplacé par le photographe, le photographe a été remplacé par le Kodak, le Kodak par le iPhone… Les journaux, le cinéma, les magazines, la radio, la télévision sont des inventions a priori merdiques, faites pour générer du profit et produire du contenu bête.
L’IA ne fait pas exception, c’est un générateur de contenus merdiques, une machine à remplir le vide. On voit déjà l’utilité pour la traduction de manuels d’utilisation pour Micro-Ondes, la rédaction de catalogues de vis et de clous ou le remplissage de texte légal écrit très petit que personne ne lit.
Je ne crois pas aux prophètes de l’IA qui parlent d’"intelligence". La machine permet d’identifier des tics, des formes, des récurrences, et de les reproduire. Elle sera meilleure que l’humain dans de nombreux domaines. On peut le voir aux échecs, par exemple, où la machine est meilleure que l’humain depuis Deep Blue contre Kasparov. Aujourd’hui, n’importe quel téléphone a accès aux plus puissants moteurs de calcul d’échecs, comme Stockfish, qu’aucun champion du monde ne saurait battre.
L’IA n’a pas aboli les échecs pour autant, ni l’admiration que les gens vouent aux humains qui maîtrisent le jeu. La possibilité de calculer la valeur absolue d’un coup a, au contraire, a permis de voir émerger une beauté imparfaite dans le jeu des grands maîtres. C’est le cas de Magnus Carlson, dont les parties frôlent souvent la perfection, mais où émergent parfois des lignes en théorie désavantageuses, mais qui fonctionnent dans le monde humain.
La possibilité de comparer la pensée humaine et la pensée machine risque d’avoir des effets intéressants comme ceux-là, une sorte de souci plus aiguisé de ce qui vit derrière la grisaille du texte généré automatiquement, mais aussi des formes figées dont nous sommes déjà les robots, souvent sans le savoir.