Pour contrer l'inflation, mangeons les journalistes
Grande ironie du Père Duchesne devant les journalistes inutiles et la vie chère
Ça va, vous, l’inflation ? Je demande parce que j’entends en boucle des publicités de syndics de faillite quand j’allume la radio et que je me dis que ça doit bien concerner deux ou trois d’entre vous. J’ai d’ailleurs eu cette image dystopique, l’autre jour, en achetant un poulet à 24$. Mon supermarché a récemment fait l’acquisition de caisses automatiques surplombées de caméras de surveillance qui, je l’imagine, ont recours à l’intelligence artificielle pour détecter les voleurs. Voilà donc le Père Duchesne sous le panopticon, scannant lui-même diligemment son poulet en s’étonnant une fois de plus de la vie chère.
Si jamais j’avais eu l’intention d’entrer en résistance et de libérer cette volaille, le capitalisme de surveillance aurait eu tôt fait de me rappeler à l’ordre. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de penser à cette heureuse phrase d’Hunter S. Thompson, quand des acrobates s’élançaient au-dessus des machines de jeu d’un casino de Las Vegas : “C’est à ça que le monde ressemblerait si les nazis avaient gagné la guerre”. Un peu, oui. Le malheur c’est d’avoir à se réveiller chaque jour dans la même dystopie.
Parlant dystopie, il y a sans doute pire que l’inflation, et c’est la manière dont le sujet est abordé dans les grands médias de la colonie canadienne. On savait les journalistes près du pouvoir, mais parfois c’est gênant. Prenons l’exemple de Francis Vaille — du blogue La Presse — qui écrivait le 12 septembre dernier :
La hausse des taux d’intérêt fait mal aux nouveaux propriétaires, souvent plus jeunes. Et elle risque de provoquer des défauts de paiements, surtout si le marché de l’emploi s’assombrit.
La pression des politiciens continuera donc d’être forte sur la Banque du Canada, comme chaque cycle haussier des taux. Ce passage est malheureusement le dur prix à payer pour avoir une économie plus stable à long terme.
Vaille, valeureux soldat de la Banque du Canada et de ses technocrates, nous dit de prendre notre mal en patience. Il faudra bien souffrir pour sauver tous ces actionnaires. On savait La Presse libérale, mais ça peut surprendre quand même.
Cette brillante tirade n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du milliardaire australien Tim Gurner, qui avouait récemment avec une étonnante candeur qu’“[i]l faut rappeler aux gens qu’ils travaillent pour leur employeur, et pas l’inverse.” Pour en arriver à ce délicat rappel, Gurner favorisait une stratégie toute simple : “Nous devons voir le chômage monter. Le chômage doit monter d’au moins 40-50 pour cent. De mon humble avis, nous devons voir l’économie souffrir. Sinon, les employés ne constatent pas la chance qu’ils ont de travailler pour un employeur.”
Le capitalisme est un complot
C’était la Une du magazine Jacobin au printemps dernier, mais le capitalisme est un complot qui ne se cache même pas d’en être un. Les dés sont pipés, c’est toujours les mêmes qui gagnent, et il y a tout un paquet de larbins pour nous dire qu’ainsi va le monde et que there is no alternative.
Du côté de la télé d’État, le sémillant journaliste Gérald Fillion accueillait d’ailleurs début septembre Stéfane Marion, stratège en chef à la Banque du Canada, qui était là avec une montre à chaque poignet pour nous expliquer que la hausse des taux est un “mal nécessaire”. C’était à vous donner des envies de l’attendre dans le parking de Radio-Canada pour lui emprunter une de ses montres de banquier, histoire de s’acheter au moins une bonne centaine de poulets.
Une part de l’information de Radio-Canada au sujet de l’inflation revient d’ailleurs à nous bassiner que les grands vizirs de l’économie veillent sur nous, et que nous n’avons pas notre mot à dire… quand on ne tombe pas dans le spectacle effarant de la misère humaine. C’était le cas par exemple le 5 août dernier, avec l’émission du matin de RDI D’abord l’info qui nous régalait d’un segment réjouissant sur le “retour du scorbut”. Cette colonie finira bien comme elle a commencé.
La nouvelle n’est pas sans rappeler celle du Wall Street Journal, qui passait “en mode solution” en suggérant à ses lecteurs d’arrêter de manger le matin pour faire baisser le coût de l’épicerie. Ça explique peut-être toutes les annonces de jeûne intermittent qu’Internet me renvoie : après les années folles et les années disco, on prépare les années maigres.
Où sont les dissidents ?
Ce n’est pas comme s’il n’y avait vraiment pas d’alternative. Vous n’avez qu’à regarder du côté de Mediapart ou de Jacobin pour trouver des voix dissidentes. Le “tout à la hausse des taux” est avant tout un choix idéologique, et il existe des outils de contrôle des prix ou de redistribution qui permettraient de mitiger les impacts de ces hausses un peu inévitables dans un pays qui n’est souverain que sur papier face aux grandes économies mondiales.
Dans le paysage médiatique déclinant de la colonie, les voix discordantes sont peu nombreuses. Étrangement, une des solutions les plus à gauche est venue de ce bon vieux woke Jean-François Lisée, fidèle chroniqueur au Devoir :
Il existe un autre mécanisme pour réduire la propension à exagérer l’inflation : empêcher une trop forte concentration de la propriété des entreprises et des marques.
À bas les accapareurs! Je vous l’accorde, le camarade Lisée a habituellement le sérieux d’un gros orteil auquel on aurait cousu un complet-cravate mais, pour cette fois, nous avons bien envie de chanter avec lui “Foule esclave debout, debout!” et d’aller toquer, brique à la main, aux portes des monopoles, histoire d’avoir des prix décents pour nos poulets.
Le Premier Ministre Justin Trudeau est d’ailleurs allé, de son propre chef, rencontrer les PDGs des grandes chaînes de supermarchés pour leur demander, s’il-vous-paît, de réduire les prix. Ça nous a valu un communiqué de presse qui commençait par : “Un Canada fort doit avoir une classe moyenne dynamique”.
Je le sens d’ici, votre dynamisme. À voir mon dernier remboursement de prêt étudiant dont le 2/3 est parti en intérêts, je n’imagine pas ceux d’entre vous qui ont des hypothèques à renégocier… Justin Trudeau doit rêver de temps plus simples où il pouvait enfiler librement son costume d’Aladdin et passer ses week-ends chez l’Aga Khan. Sa semaine était déjà pas mal chargée avec le SS invité à la Chambre des Communes — je vous dis que les nazis ont gagné la guerre — et l’Inde qui assassine à qui mieux-mieux dans le Dominion de Sa Majesté Charles III.
Maintenant qu’on ne peut plus voler au supermarché, je ne sais plus trop ce qu’il nous reste à faire si la “stratégie Trudeau” de demander poliment venait, par surprise, à échouer. Chez Jacobin, on suggérait de nationaliser une chaîne de supermarchés. Chez Gérald Fillion, on nous suggérait de souffrir encore un peu. Il est d’ailleurs bien dodu, le Gérald. Si le poulet monte encore, on saura qui manger.
Le Circus-Circus !
Cinglant. Sanglant. Merci.