Depuis quelques jours, la route 389 qui mène de Baie-Comeau à Fermont est fermée à cause des incendies. Le plan était de monter vers le barrage Manic 5 pour aller à la pêche à la truite, mais le printemps trop sec en aura peut-être décidé autrement. Enfin, ça reste à voir. Chaque jour, je regarde si la route est ouverte, j’écoute la radio de Fermont et je scrute la météo en attendant la pluie.
Hier, la route a été fermée complètement parce qu’un incendie la traversait, puis les convois essentiels ont été autorisés et puis, aujourd’hui, encore rien. La carte de la SOPFEU indique quatre feux autour de la route à la hauteur du barrage de Manic 3. Rien à faire.
Je ne sais pas pourquoi, mais cette attente m’a fait penser à Marguerite de Navarre et à son Heptaméron. Dans ce chef d’œuvre de la Renaissance, une tempête emporte un village et quelques personnages se réfugient en hauteur pour se sauver du déluge. Comme la pluie n’arrête pas de tomber, ils décident de tuer le temps en se racontant des histoires. Soixante-douze histoires pour être plus précis.
Ma nouvelle préférée de l’Heptaméron est digne d’un roman gothique. On y raconte le voyage de Roberval au Canada, et l’histoire d’un homme accusé de trahison qu’on laisse sur une île déserte avec un baril de poudre et des biscuits. Sa femme, fidèle au poste, décide de débarquer avec lui, et de rester sur l’îlot en compagnie de son homme et des bêtes sauvages.
Le mari finit par crever avant elle, et la femme se retrouve alors avec son cadavre sur les bras. Elle tente tant bien que mal d’enterrer le corps, mais l’île est pierreuse comme le sont souvent les îles du Saint-Laurent et il n’y a pas de sol où creuser. Alors elle se retrouve à devoir défendre la carcasse de son mari à coups d’arquebuse tandis que les bêtes féroces essayent de s’en emparer. Finalement, un navire qui passe par là la sauve in extremis et elle revient à La Rochelle où elle devient un modèle de courage et de dévouement pour toutes les jeunes filles du Royaume.
La meilleure partie de la nouvelle, c’est quand les devisantes de l’Heptaméron commentent ensuite. L’une d’entre elles, Parlamente, se dit que bien des maris se conduisent, de toute façon, comme des bêtes sauvages. Elle conclut d’ailleurs avec un trait de génie : “Mais que les bestes ne me mordent poinct, leur compaignye m’est plus plaisante que des hommes, qui sont collères & insuportables.”
Il ne reste plus qu’à se trouver des devisantes pour patienter en attendant que finisse l’incendie. C’est drôle parce que je me grattais la tête cette semaine pour savoir si je vous parlerais d’autocensure avec l’histoire d’un collègue qui a décidé de rayer les références à l’« homme sauvage » chez Rousseau dans les extraits qu’il fait circuler en classe. Ce n’était pas pour dénoncer mon collègue, mais plutôt pour me demander ce qui, dans les grandes kabbales cancellatoires, vient de nous-mêmes. Et puis je me suis dit qu’il y avait quelque chose de bien bête à parler de guerres culturelles tandis que le monde brûle.
Suffisait de mettre la tête dehors pour sentir le barbecue de milliers d’hectares de forêt boréale, alors je me voyais mal vous parler de la censure de Jean-Jacques Rousseau. Tout ça, bien sûr, est fait pour divertir, pour nous faire penser à autre chose qu’à l’incendie.
Suivez le panache de fumée, vous tomberez d’ailleurs sur cette race de curés qui ne rate jamais une catastrophe pour vous rappeler que notre temps est compté. Ils vous diront : une ambiance de fin du monde. Si seulement… mais le Père Duchesne n’a jamais cru à la fin du monde ni aux délires millénaristes. Le problème c’est que ça ne va pas assez vite. Au temps de Marguerite de Navarre, on avait la décence d’étrangler les condamnés à mort avant de les mettre sur le bûcher. La planète continue de se réchauffer, et le grand malheur c’est qu’il faudra endurer nos contemporains, qui sont colères et insupportables, en plus du brasier.
Autant bien croire à la suite du monde. Jean-François Nadeau a d’ailleurs passé la semaine sur les ondes FM avec sa lanterne allumée pour essayer de prévenir les habitants de la province que les ravages causés par l’industrie forestière y sont peut-être pour quelque chose dans les incendies. Mauvaise gestion du reboisement, repousses qui s’assèchent plus vite, débris de coupe : il semblerait que la coupe à blanc soit une cause importante de nos déboires. Sauf que personne, évidemment, n’écoute Nadeau.
C’est une étrange province que le Québec, où à peu près tous les spécialistes en foresterie sont payés et formés par l’industrie forestière. C’est comme ça pour beaucoup de choses. Demandez-leur : ils vous diront que tout va bien.
Alors, comme tout va bien, même si le soleil est un peu rougi par la fumée, je me suis dit aussi qu’il serait peut-être temps de revenir sur cette chronique où Marc Cassivi prend la défense d’une exposition qu’il n’a pas vue avec des arguments auxquels il ne croit pas vraiment quand personne ne regarde. J’en ferais une affaire politique. C’est drôle parce que je me disais, en entendant Nadeau, qu’on pouvait prendre quelques mesures concrètes pour arrêter le saccage des forestières, qu’il n’y avait qu’un tout petit travail à faire pour qu’on ait enfin de vraies aires protégées, des feux dirigés, moins de coupes sauvages et qu’on en finisse avec le reboisement en monoculture. Nos guerres culturelles et notre millénarisme sont peut-être des excuses que nous nous servons à nous-mêmes pour ne jamais rien faire. Suffit de voir du politique partout pour qu’il n’y en ait plus nulle part.
Marc Cassivi a donc parlé d'une exposition qu'il n'a pas vue ? Eh bien, en janvier 2015, il a descendu Soumission de Houellebecq tout en admettant dans l'article qu'il ne l'avait pas lu. Cette fâcheuse habitude mérite d'être appelée le syndrome Cassivi.
https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/marc-cassivi/201501/06/01-4832826-houellebecq-en-eurabia.php
1) oui, le torchon brûle. 2) il restera le doré plus tard... 3) Hahaha!