Mit brennender Sorge
Le Père Duchesne aiguise sa guillotine, prêt à raccourcir quelques nazis
Ah ils étaient beaux à voir, les Allemands! Le week-end dernier à Leipzig, à Berlin, à Hambourg : les foules, les rues bloquées… 1,4 million! Tous contre l’extrême-droite! Tout a commencé quand le média Correctiv a rendu publique la tenue à Potsdam d’une conférence secrète sur la “remigration”, à laquelle ont participé plusieurs membres de l’AfD (Alternativ für Deutschland), le parti d’extrême-droite allemand.
La force symbolique de la présence de néo-nazis et de délégués autrichiens, tout comme le choix du lieu de la conférence — à 8 km de la Villa Marlier, qui a accueilli la Conférence de Wannsee, où la Solution finale a été planifiée — n’a pas échappé aux citoyens qui manifestent depuis le 13 janvier.
À Berlin, c’est autour de 300 000 personnes qui étaient réunies dimanche. Une vidéo dans laquelle on voit les manifestants entonner une chanson a d’ailleurs fait le tour du web. Sur l’air de “Vent frais, vent du matin” (“Hejo, spann den Wagen an” en allemand), on voit la foule gigantesque chanter un canon contre l’extrême-droite. L’image est d’une force d’autant plus grande qu’on y ressent tout le poids de l’histoire d’un peuple allemand marqué à jamais par les crimes du nazisme.
Le gouvernement actuel est mené par l’Ampelkoalition : la coalition “feu de circulation” du SPD, du FDP et des Verts (rouge-jaune-vert). La crédibilité du chancelier Olaf Scholz a cependant été mise en cause par la polycrise qui frappe aussi l’Allemagne. Marqué par une récession industrielle qui compromet son modèle économique, le pays est affecté, comme les autres démocraties occidentales, par l’inflation, la crise du logement, la crise migratoire, la guerre en Ukraine et la crise climatique.
À cela s’est ajouté l’appui indéfectible de Scholz pour l’État d’Israël et son escapade à Gaza, ce qui lui a valu de s’aliéner une partie de l’électorat de gauche. Devant cette fracture potentielle du gouvernement, certains membres du parti de droite — la CDU — ont effleuré l’idée d’un rapprochement avec l’AfD.
Le consensus politique allemand a pourtant été jusqu’à maintenant d’appliquer la technique du cordon sanitaire — le “Brandmauer”, littéralement le “mur de feu” — face au parti d’extrême-droite. En Allemagne, personne n’est sensé ne serait-ce qu’imaginer une coalition impliquant le “bleu” de l’AfD. Les élections régionales d’octobre dernier ont cependant montré le déclin de la coalition de Scholz en déplaçant nettement le curseur à droite, ce que certains représentants de la CDU, habituellement plus centriste, semblent avoir interprété comme un appel vers des positions plus radicales.
Une tendance mondiale
La tendance générale de la droite mainstream à vouloir essayer les thèmes d’extrême-droite s’est confirmée cette semaine à Davos, quand les chefs d’entreprise américains se sont prononcés sur le retour de Donald Trump en 2024. L’Amérique des corporations était pourtant restée, jusqu’à maintenant, à distance polie de la vedette de télé-réalité devenue Président. La transition vers un discours pro-Trump semble marquer une tendance générale des dirigeants d’entreprises à s’associer désormais sans honte aux discours identitaires.
Le phénomène n’est jamais aussi évident qu’en France, où le président Emmanuel “start-up” Macron s’est pourtant fait élire sur une promesse d’être le rempart contre le Rassemblement National… pour ensuite adopter une loi immigration inspirée du programme de l’extrême-droite, en plus d’exercer un pouvoir autoritaire dont les violences policières ont été dénoncées jusqu’à l’ONU. Au Canada la semaine dernière, le chef du Parti Conservateur, Pierre Poilièvre, se trempait, lui aussi, le gros orteil dans le lisier en blâmant les immigrants pour la hausse des prix du logement. Ils semblent être plusieurs, en ce moment, à sentir que le vent souffle vers la droite.
Remigration
Un concept comme la remigration, par exemple, a gagné en popularité dans les milieux d’extrême-droite ces dernières années. Ce projet de déportation de masse des personnes d’origine extra-européenne est associé à la théorie conspirationniste du grand remplacement, popularisée à partir de 2010 par Renaud Camus. Aux États-Unis, Donald Trump a déjà énoncé un plan similaire, en promettant “la plus grande opération de déportation de l’Histoire des États-Unis” s’il est élu.
Voir aujourd’hui la notion de remigration traîner au grand jour montre à quel point le front s’est élargi. En l’espace d’une décennie, nous sommes passés de groupes identitaires marginaux comme les Proud Boys et les trolls de l’Alt-Right, qui trainaient sur 4chan ou r/The_Donald, à une récupération de ces grands thèmes par des partis autrefois respectables.
The Left can’t meme, again
Ce n’est pas comme si nous n’avions pas été prévenus. Déjà en 2017, Angela Nagle terminait son livre Kill All Normies de manière prophétique :
Les culture wars ont atteint un point culminant d’une laideur au-delà de tout ce que nous aurions pu imaginer, et il ne semble plus y avoir d’issue à la fosse sceptique dans laquelle nous nous sommes enfermés. L’utopie d’un Internet libérateur qui mènerait à une révolution sans leader semble bien loin derrière. L’époque où les progressistes pouvaient se réjouir du fait que l’“indignation” puisse “créer un réseau” qui déborderait dans le monde réel est morte et enterrée. Il faut maintenant prier pour que nous soyons en mesure de contenir ce monde en ligne plutôt que de le laisser prospérer et étendre l’égout de déshumanisation réactionnaire qui remonte peu à peu à la surface du mainstream alors qu’une telle chose était impensable il y a quelques années à peine.
Le Père Duchesne a bien dû consacrer 20 infolettres au sujet, mais les dernières années ont vu une bonne partie de la gauche tomber dans le piège des culture wars et s’enfoncer dans des guerres fratricides (et sororicides) sans fin. Pendant que l’extrême-droite entrait par la petite porte dans le grand jeu de la politique, la gauche est devenue un brand, une identité à porter sur des réseaux sociaux où “militer” voulait surtout dire avoir un compte Instagram.
Mal comprendre
En Allemagne, quelqu’un comme Luisa Tomé, dans Die Zeit, explique bien les limites de la politique-spectacle, qu’on retrouve aussi dans les manifestations :
Si l’AfD, après qu’on ait vu les foules dans les rues, ne perd pas un seul point de pourcentage lors des prochains sondages ou si Björn Höcke, effrayé, ne remet pas immédiatement sa démission, alors ces centaines de milliers de personnes devront passer à l’étape suivante pour défendre la démocratie.
L’étape suivante, pour Tomé, serait un engagement réel dans la démocratie. La journaliste voit aussi que le problème vient d’une crise structurelle du capitalisme allemand. La désindustrialisation, l’inflation et la guerre menacent avant tout les conditions de vie des régions dévitalisées d’Allemagne de l’Est. C’est là où le discours de l’AfD arrive à prendre : dans des populations ouvrières et post-ouvrières qui se sentent mises en compétition avec l’immigrant et mises à l’écart de la démocratie.
Tracteurs et camionneurs
La crise structurelle est aussi écologique. En ce moment, en France, les agriculteurs bloquent les autoroutes pour protester contre l’Europe néolibérale et les normes environnementales. Nous voyons partout cette inégalité des politiques vertes. Alors que les pôles urbains se plaisent dans un discours écologique de bon ton, les régions productrices se trouvent à devoir payer le gros de la “décroissance” libérale ou du “développement durable”. On attaque le gaz, les camions, les engrais, moins le café troisième vague et les MacBook Pro…
Les inégalités du discours écologiste doivent être prises en compte si nous voulons un jour arriver à faire cause commune. Pour l’instant, le développement soi-disant durable ne sert que la frange la plus mobile et éduquée de la population, alors que la facture est refilée aux habitants des périphéries. Nous avons eu l’avertissement des Gilets Jaunes, ensuite celui des camionneurs d’Ottawa qui, sans aborder le même sujet, montraient l’ampleur du conflit des modes de vie entre la classe du télétravail et celle des producteurs.
Tuer la démocratie en voulant la sauver
Une chose m’inquiète : à trop vouloir sauver la démocratie, peut-être risquons-nous de la tuer. En quoi des gouvernements comme ceux de Justin Trudeau ou de Joe Biden sont-ils démocratiques quand ils envoient des armes et des fonds au gouvernement Netanyahou contre l’avis de leurs populations ? Qui a voté pour ça ?
Ariane Bremmer, rédactrice en chef du Tagesspiegel, l’écrivait d’ailleurs au sujet de l’Allemagne : “Plusieurs parmi ceux qui en ont assez des rouges, jaunes, verts et compagnie se tournent vers l'AfD. Ils considèrent de toute façon l’Ampelkoalition comme une menace pour la démocratie.” Plus encore, la ligne de la “démocratie menacée” risque, à son terme, de produire l’effet contraire. Les poursuites contre Trump ou les demandes d’interdiction de l’AfD peuvent rebondir : en voulant sauver la démocratie, nous donnons l’impression à nos adversaires de vouloir l’étouffer. Quel avenir quand chaque côté se voit comme un tyran potentiel ?
En Italie, les fascistes ne se cachent même plus. Ils étaient plusieurs centaines à faire le salut fasciste, via Acca Larentia à Rome le 7 janvier. En Autriche, la FPÖ fait des vidéos de recrutement pour ses jeunesses autrichiennes sans aucune honte. En Argentine, Javier Milei propose un fascisme néolibéral sur un modèle déjà bien connu en Amérique du Sud.
L’extrême-droite n’est pas nouvelle, mais la normalisation de son discours est bien en marche. Comment faire rempart pour que ces refoulements d’égouts ne signent pas la fin des démocraties ? La primauté du droit et le caractère sacré de la citoyenneté sont les deux piliers qui sont menacés aujourd’hui par l’extrême-droite. Alors que nous sommes plusieurs à observer d’un regard mi-bovin, mi-atterré la menace trumpiste en Amérique, les Allemands semblent nous envoyer un message : c’est avant que la tyrannie soit au pouvoir qu’il faut agir.
À lire :
En français
L’éditorial du Monde, “Le difficile moment allemand”. [lien]
En anglais
L’article de Correctiv par lequel tout a commencé. [lien]
En allemand
Un beau texte merci.
Il y a une lame de fond de gauche qui est belle et bien présente aussi.
La jeunesse invisibilisée, au Canada et aux USA est massivement socialiste et une large partie se revendique même du communisme. BLM, Les gilets jaunes, des grèves massives même aux Royaume-Unis... toutes des luttes qui opposent le Capital et le Travail et qui commencent à stresser les capitalistes. Ceci explique en partie la montée et la radicalisation des droites un peu partout dans le monde.
Révolution communiste (anciennement: Riposte Socialiste), la section québécois de la Tendance Marxiste Internationale a doublé ses membres en 3 mois et a maintenant près de 800 membres, un nouveau journal et une école marxiste à Montréal le mois prochain ou il y aura notamment la fondation d'un nouveau parti révolutionnaire.
https://www.marxiste.qc.ca/
(La section éducation est particulièrement riche en textes de qualité)
Le lien pour s'inscrire à l'école: https://www.marxiste.qc.ca/ecole
Il y a 350 membres inscrits pour l'instant, la limite est 700 environ.
Il est temps de vous aérer l'esprit et de remettre en question ce que vous pensez savoir de Marx, Lénine, Luxembourg et Trotsky (ce vous s'adresse à tous et toutes).
C'est vrai Père Duchesne que ça ne sera pas seulement sur Instagram que nous empêcherons la vague brune de nous étouffer.
Le remède au fascisme est un bloc matériel de communistes permettant d'enrayer sa source: la panique de la classe oppressive qui a toujours recourt au sexisme, au racisme et à l'homophobie pour diviser les esclaves salariés.
Tant que nous vivrons dans un système divisé en classes sociales, il y aura un État au service de la classe dominante et il y aura du fascisme.
tbr