Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai regardé mardi dernier le débat de la présidentielle américaine. Dans mon enthousiasme, j’avais même écrit à plusieurs amis pour leur demander s’ils regardaient aussi. Un échantillon de leurs réponses donne un peu le ton : “Es-tu malade ?”, “Je préfère regarder STAT” ou “J’ai un match de hockey cosom”… Nonobstant ce peu d’entrain, je me suis mis en tête de regarder la joute oratoire quand même. Ne me demandez pas ce que j’en ai pensé. Vous avez assez d’analystes dans les grands médias pour vous éclairer au sujet de la performance des aspirants à la présidence et vous dire qui, selon eux, a “gagné”. J’ai tout de même eu mon moment préféré lorsque Donald Trump, répondant à Kamala Harris, s’est exclamé à propos des migrants de Springfield, Ohio : “Ils mangent les chiens, les gens qui sont entrés. Ils mangent les chats! Ils mangent nos animaux!”
Je ne sais pas si ce que j’ai préféré est l’absurdité de la déclaration ou le fait que les journalistes d’ABC se soit empressés de rectifier le tir dans une brève intervention de fact checking. On voyait l’affrontement de deux régimes de vérité. Le pouvoir du dictateur repose sur la capacité de plier les faits à sa volonté. C’est d’ailleurs ce qui frappe, lorsqu’on s’intéresse aux purges staliniennes : le regard extérieur ne voit que le bal absurde des dénonciations et des confessions montées de toutes pièces, mais le principe de la confession stalinienne n’était pas qu’elle soit vraisemblable. Au contraire, plus les faits reconnus étaient extravagants et extrêmes, plus le pouvoir était confirmé dans sa capacité à faire s’incliner la vérité.
La machine trumpiste fonctionne de plus en plus selon ce principe. Les dernières années ont vu se multiplier les déclarations ouvertement mensongères ou fausses répétées par les apparatchiks républicains. C’est pour cette raison que la rectification des journalistes d’ABC pouvait sembler hors-sujet. Le but de Trump n’était manifestement pas d’adhérer au principe de réel, mais plutôt de faire entrer l’Amérique dans sa projection psychotique où l’immigrant haïtien est un mangeur de chats.
Parlant chats, je me suis retrouvé avec une souris dans le plafond, cette semaine. L’automne — qui est la plus belle saison à Montréal — voit aussi l’arrivée des rongeurs dans les appartements. Malgré le temps clair et la chaleur douce de septembre, j’essaye de finir un livre. Plutôt que de cueillir des champignons, je passe mon temps à l’intérieur. J’ai donc été dérangé au milieu d’une de mes importantes digressions par le bruit d’une souris qui ronge une poutre. Évidemment, je dis pudiquement “une” souris, mais je ne me berce pas d’illusions. Je connais la nature proliférante du peuple des rongeurs. On dirait que de dire “une souris” la rend plus personnelle, plus inoffensive : c’est une souris connue — la souris —, par opposition à la vermine indistincte et grouillante qui doit habiter mes murs. Chacun ses mensonges.
Au travail, on ne compte plus les fois où nous avons attrapé une souris dans les locaux du syndicat. Le cégep tombe en ruines et la vermine y grouille. Un article faisait état, il y a quelques semaines, des plans de l’administration pour nous délocaliser dans les anciens locaux de l’Office National du Film du Canada. Cette semaine, on apprenait que les centres d’aide aux étudiants seraient potentiellement coupés, ce qui veut dire que nous devrions passer, pour l’aide en français, de 40 000$ par session à 13 000$. L’équipe du centre aide environ 200 étudiants par session. À 40 000$, c’est 200$ par tête, un coût largement compensé par les reprises de cours sauvées. Imaginez ce que coûte au gouvernement, juste en perte d’impôts sur le revenu, une étudiante en soins infirmiers qui doit finir son parcours collégial 4 ou 6 mois plus tard… Le ministère a donné la consigne aux administrateurs de passer à la “saine gestion” financière des budgets de fonctionnement.
Je ne comprends pas grand-chose à leurs enveloppes budgétaires, mais tout ce que je sais c’est que la société nous donne une mission simple : apprendre le français à la masse grouillante du corps étudiant. Qu’un gouvernement qui claironne à tort et à travers son objectif de “protéger le français” ne nous donne pas les moyens de le faire va de soi. Il n’y a qu’une souris dans le plafond, et elle s’occupe de sa case budgétaire.
Je ne vous mentais pas lorsque je disais que je passerais au moins trois jours sans me plaindre, après la nomination de Tim Walz. Ça a duré un bon trois semaines, mais j’ai fini par me rendre à l’évidence qu’Harris et Walz sont des démocrates. Ça n’a pas trop paru durant le débat parce que Trump était occupé à défendre la fréquentation de ses rallyes et sa popularité chez les afro-américains. Le bilan d’Harris est tout de même celui d’une administration qui a continué d’envoyer des armes à Netanyahou, de refouler les migrants aux frontières et de nous amener vers le précipice climatique. J’imagine qu’on doit s’accommoder du moins pire et que tous les mensonges ne sont pas égaux. Au moins Harris n’accuse personne de manger des chats, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la souris dans mon mur.