Autant célébrer pour une fois : c’est une grande semaine pour la rigolade! D’abord il a fait 15 degrés en plein mois de février à Montréal, ensuite ils ont lancé un nouveau robot Google, Gemini, qui a bien fait rire tout le monde en produisant automatiquement des images de personnes “issues de la diversité” et puis, pour finir, une vidéo d’une attaque de dindon à Louiseville a semé l’émoi dans la colonie.
Le maire de la ville s’est même exprimé publiquement à ce sujet dans un extrait diffusé à TVA Nouvelles. Ce brave homme, chapeau sur la tête et noeud papillon jaune au cou, n’a pas hésité à appeler au réarmement des citoyens de Louiseville, incités à s’armer de “battes de baseball” pour triompher de la bête.
Parlant dindon, je ne suis pas en reste. Je me suis ramassé après mes cours au Technoparc, près de l’aéroport Trudeau, pour essayer de voir le grand-duc qui y niche chaque année. Pas de bol, je n’ai pas vu le grand-duc, mais je me suis vite retrouvé entouré de neuf dindons qui ne connaissaient ni la honte, ni la peur. Si les robots ne deviennent pas nos nouveaux maîtres, ces volatiles devraient bientôt s’en charger.
À voir la présidentielle américaine se dessiner, il est loin d’être certain qu’un dindon serait un mauvais candidat, de toute façon. Comptez sur le Père Duchesne pour crier hourra au premier glouglou.
Mais revenons à notre premier sujet, Gemini, cette intelligence artificielle qui semble être tout droit sortie d’une formation (payante) sur la diversité, l’équité et l’inclusion. Les images générées par le robot ont fait le tour du web : pères de la Constitution noirs, Vikings asiatiques, soldats nazis diversifiés… Tout le monde y est allé de son test, et tout ça n’aurait été que franche rigolade si les fâcheux ne s’étaient pas, eux aussi, mis de la partie.
Et des fâcheux, mes camarades, dans ce monde hypermoderne, il n’en manque pas. Ils étaient d’ailleurs nombreux, dans la fachosphère, à s’indigner de l’“effacement des Blancs” par Google. D’ailleurs, c’est un thème récurrent, chez eux. Cette semaine, on s’excitait du côté du Journal de Montréal avec trois chroniques sur la chronique de Jean-François Lisée où l’on “apprenait” — le mot est fort — qu’il est désormais dangereux d’être Québécois dans les écoles de Montréal.
Lisée citait une professeure du collège Regina Assunta qui se serait fait répondre par un étudiant “d’origine maghrébine” : “Madame, vous ne pouvez pas comprendre parce que les Kebs, vous n’avez pas de culture. Vous faites des trucs de Blancs comme aller au chalet et faire du ski et vous n’éduquez pas vos enfants.”
Celle-là, j’ai bien ri en la lisant. De un, parce que c’est rigoureusement vrai, de deux parce que ce jeune garçon me semble avoir un humour tout à fait compatible avec celui du Père Duchesne. D’ailleurs, chaque fois que je fais moi-même une remarque sur mes concitoyens “Kebs”, je reçois au moins un mail de bêtises et quelques désabonnements. Mais ne vous inquiétez pas, chères lectrices et chers lecteurs : c’est bien parce qu’ils partent qu’on s’amuse.
Antiphrase
Il n’en fallait pas plus, évidemment, pour voir débarquer l’ogre germanopratin, notre chanoine du désespoir Bock-Côté, qui est venu en rajouter une beurrée en signant une chronique intitulée “Il faut oser parler de racisme antiquébécois”. Dans ce texte du roitelet du Figaro, on apprend que les médias nous cachent des choses et que ce courageux Lisée dit tout haut ce que l’on pense tout bas : “Nous voulions devenir maîtres chez nous. Nous sommes désormais de trop chez nous.” Nous voilà donc grand-remplacés, mes amis. Content d’avoir fait partie de cette aventure.
Tout de même, je m’ennuie du temps où le Québec “rayonnait à l’étranger” grâce à Céline, aux Têtes à Claques et au Petit Dolan. Maintenant, la province prolonge ses gros rayons bruns jusque sur CNEWS, et il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que les Français finissent par se venger en nous envoyant, par exemple, Cyrille Hanouna ou Patrick Bruel.
N’empêche, nous voici “de trop chez nous”, d’après le chroniqueur, mais je ne sais pas si Lisée, Bock-Côté, Martineau et compagnie se rendent compte qu’ils appellent toute la cavalerie pour répondre à un garçon de 15 ou 16 ans qui a fait, du reste, une très bonne blague. À ce garçon je dis : continue d’écouter dans tes cours de français, tu expliqueras peut-être un jour à ces pékinois ce qu’est une antiphrase.
Quitter la salle
Parlant de gens de mauvaise humeur, un article du blogue La Presse cette semaine nous annonçait que “[d]e nombreux spectateurs ont dû être accompagnés hors de la salle pendant la pièce Liebestod, présentée à l’Usine C”. Je ne sais pas ce que le blogueur Alexandre Vigneault entend par “nombreux”, mais j’ai décroché de l’article à la première ligne : “« Je suis encore sous le choc de ce spectacle déconcertant présenté à l’Usine C », a écrit la romancière Roxanne Bouchard sur Facebook”.
Répétez après moi : un statut Facebook n’est pas un événement. Ils ont eu leurs clics, mais pas grand-chose de plus. Au final, nous voilà tous plus idiots qu’avant pour en avoir parlé. Bon, d’accord, il y avait du sang sur scène, mais rappelez-moi quand les spectateurs se battront en duel comme au temps d’Hernani.
D’ailleurs, dans une entrevue donnée à Zébuline, la metteuse en scène Angelica Liddell expliquait assez justement :
Quand j’ai joué au Teatro Olimpico de Vicence, en Italie, j’ai dû entrer sous la protection de la police à cause des menaces des fascistes et des ultra-catholiques. J’ai même subi des menaces de mort. Aujourd’hui, ces fascistes sont au gouvernement italien. C’est ça le fascisme. Moi je veux simplement un monde plus beau et je suis horrifiée par la bêtise des bonnes intentions appliquées à l’art. Les œuvres ne sont pas appréciées pour leur qualité esthétique mais pour leur message, un message moral. En ce qui concerne l’esthétique, je défends l’immoral, car l’immoral dans l’art est éthique en soi. L’immoral éduque. Ce qui est moral nous rend stupides.
Si “[c]e qui est moral nous rend stupides”, on n’en a pas fini, j’en ai bien peur. Entre les robots et les dindons, difficile de voir comment faire pour nous en sortir, mais ce n’est sans doute pas ce qu’il y a de pire. Il fait d’ailleurs un peu chaud, vous trouvez pas ?
Merci de partager ce texte. Le Père Duchesne circule sous le manteau grâce à vous. N’hésitez pas à répondre à cette infolettre. Je vois vos messages et j’y réponds. Parfois lentement, mais j’y réponds.
Compléments :
L’entrevue de Zébuline avec Angelica Liddell est à lire [lien]
Le reportage de TVA Nouvelles sur l’attaques du dindon pour rire [lien]
À lire/à voir en fin de semaine :
“Oublier Tesson”, un manifeste contre le Printemps des Poètes sur Lundi AM [lien]
Un article de Jacobin sur le greenwashing en Russie [lien]
“L’autojustice n’est pas une justice alternative”, un article de Rachida Azdouz chez Vaste Programme [lien]
Pour un autre regard sur l’école québécoise, la série Maisonneuve vient de sortir sur le site de l’ONF [lien]
Ce jeune homme qui saisit le zeitgeist en une seule réplique cinglante me donne le sourire ce matin pendant que je corrige des dissertations qui portent sur le recueil de nouvelles Si la bombe m’était contée (1962…) d’Yves Thériault. Merci Père Duchesne.
Si c'est une antiphrase ou même une blague, alors ce n'est pas "rigoureusement vrai". Duh. Bonne rigolade...