La Gaspésie résistante
Le Père Duchesne sort de chez lui pour aller à la rencontre du monde
Sur son balcon dont la vue donne sur le quai de Carleton, l’historien Pascal Alain m’explique que la Gaspésie a une longue histoire de révoltes. Que ce soit la grève de Murdochville ou la guerre du saumon, les forces historiques se sont souvent affrontées sur le territoire gaspésien. La Gaspésie est un endroit paradoxal, où les forces de l’histoire s’exercent avec une violence propre aux zones frontalières. C’est une péninsule, balayée par tous les vents, qu’ils viennent de Bay Street, de Londres ou de Washington, une terre d’échouage, qui a vu se succéder les naufrages et les migrations. C’est d’ailleurs le sujet d’un de ses prochains livres, me dit-il : la Gaspésie résistante. La conversation dérive vers ce que les Montréalais peuvent ne pas voir d’une région comme la Gaspésie...
Je lisais récemment le dernier numéro de Jacobin, sur les campagnes, qui fait écho au livre de Julia Cagé et Thomas Piketty sur l’histoire du vote en France. C’est un problème vieux comme la gauche, mais les périphéries n’ont jamais été populaires dans le discours des élites urbaines. Émile Zola, dans La Terre, dresse le portrait dévastateur du paysan. S’il pouvait avoir de l’empathie pour l’ouvrier, Zola voit dans le paysan un réactionnaire indécrottable, une race à abolir. Les marxistes et les socialistes ne seront guère plus cléments envers les provinciaux, les traitant souvent avec mépris quand ce n’est pas avec violence. Le divorce entre la gauche et les campagnes ne date pas d’hier. Aux États-Unis, la fin de la campagne d’Hillary Clinton avait été teintée par l’expression “déplorables”, employée pour qualifier les citoyens des périphéries qui votaient pour Donald Trump. À elle seule, cette expression incarnait la violence séculaire des élites contre les périphéries, utilisées tantôt comme lieu d’extraction, tantôt comme lieu d’évasion.
Carleton est un exemple de ce phénomène et de ce qui peut y résister. Rebaptisé “Carleton-sur-Mer” lors de la fusion avec Saint-Omer, c’est un lieu marqué par le tourisme, qui garde tout de même une forte identité locale. Même si certains commerces sont ouverts seulement l’été, des lieux comme le Naufrageur ou la Brûlerie du Quai sont arrivés à prendre ce qu’ils pouvaient de la manne touristique pour exporter ensuite leurs produits et rester ouverts à l’année. Ici, les travailleurs de la construction côtoient les employés municipaux, les quelques pêcheurs restants, les profs de cégep, les serveurs, les marchands et les vacanciers dans une proportion qui rend le lieu encore habitable. Reste que les prix des maisons menacent la vie des locaux, les transports sont limités, le “développement” est encore axé sur les éoliennes et l’industrie forestière… La Gaspésie reste un lieu dont la vocation est l’extraction de ressources, naturelles ou humaines. Il n’y a pas d’université, peu d’institutions culturelles, les quelques médias locaux sont tenus à bouts de bras par les gens du coin… Si la culture gaspésienne continue d’exister, c’est grâce à un travail collectif de résistance difficile à calculer.
Érosion
Installé à la Marina, où Kevin Parent vient parfois faire la sono de son oncle Normand le lundi soir, la vue sur la Baie-des-Chaleurs est imprenable. Le paysage change d’instant en instant. La couleur de l’eau n’est pas la même que le temps soit gris ou clair. Surtout, on voit le temps venir avec ses orages et ses pieds-de-vent. Je ne veux pas trop m’ébahir non plus à propos des “paysages” de la Baie. Les locaux se méfient des touristes qui passent et repartent, et qui s’étendent en rêveries bucoliques. Ils ont d’ailleurs une nomenclature très claire pour désigner les “locaux”, par opposition aux touristes.
La Baie-des-Chaleurs tient son nom de Jacques Cartier, qui cherchait à faire venir l’argent de la Métropole. Arrivé au milieu de l’été, il y voyait un climat propice pour l’établissement d’une colonie. Les Mi’kmaq l’appellent, quant à eux, Mali Pôgtapei, la Grande Baie. C’est, en fait, l’estuaire du fleuve Restigouche dans lequel se jettent de grandes rivières à saumon comme La Matapédia et la Patapédia. Elle est bordée par les Appalaches, de part et d’autre.
À Carleton, la formation dite “de Bonaventure”, qui borde la Baie, se termine par des falaises de mudstone, de conglomérats ou d’argiles rouges qui sont les restes d’une ancienne vallée du Carbonifère. À cette époque, les Appalaches étaient des montagnes hautes comme l’Himalaya et la Gaspésie était située à près de 25 degrés de l’Équateur, non loin des tropiques, dans le supercontinent de la Pangée. Cette couche de sédiments vieille d’environ 310 millions d’années s’étend sur quelques kilomètres dans les terres jusqu’aux environs de Percé. Elle s’arrête abruptement à la Baie-des-Chaleurs, qui la ronge progressivement depuis la dernière glaciation. L’argile a la propriété de se liquéfier lorsque mélangée à l’eau. Les tempêtes donnent une teinte rouge laiteuse à la Baie-des-Chaleurs parce qu’elles emportent avec elles la formation de Bonaventure. Depuis quelques années, elles se font plus nombreuses.
Si je vous déballe toute cette histoire géologique, c’est pour vous faire réaliser l’aspect vertigineux des bouleversements qui sont en train de se produire pour qu’une formation vieille de 310 millions d’années, qui a résisté à la séparation des continents et à l’apparition et à la disparition des dinosaures, recule à chaque nouvelle avancée des vagues. L’écrivaine Laurence Gagné — qui m’accueille si généreusement à Carleton — m’amène au bout de la rue Saint-Onge pour me montrer les effets de l’érosion. Nous y voyons un mur de pieux qui a été érigé il y a plusieurs années pour protéger la falaise. Il a été emporté par les tempêtes de l’hiver dernier. Il ne reste de l’ouvrage que des troncs d’arbres épars. La falaise est grugée à certains endroits sur des dizaines de mètres, parfois même jusqu’au bord des maisons. Dans la falaise, des enfants se sont faits un bain de boue. Ils se recouvrent les uns les autres de glaise rouge qui, dit-on, est bénéfique pour la peau. En bas de leur bain improvisé, une longue coulisse de boue rouge s’étend jusqu’à la mer… “310 millions d’années de travail qui partent à coups de petite pelle en plastique”, me dit Laurence.
Morues et compagnies
Le réchauffement climatique ne fait pas qu’affecter les berges. Il affecte aussi la pêche. Les pêcheries occupent depuis toujours une place importante dans la région. Les Mi’kmaq et d’autres nations autochtones pêchaient l’éperlan, le capelan, le maquereau, le saumon, les coquillages ou le homard pendant des siècles avant l’arrivée des premiers morutiers européens. Les rapports entre les peuples du Nouveau et de l’Ancien monde demeurèrent vaguement cordiaux pendant plus de deux siècles, même si ces premiers échanges, à cause des maladies, entraîneraient la mort de près de 90% de la population mi’kmaw en l’espace de quelques décennies.
Il n’en naîtra pas moins une culture singulière, les Mi’kmaq empruntant certains éléments culturels européens comme les chaloupes à voiles des marins Basques et leurs vêtements de laine, tandis qu’un pidgin basco-algonquin servait aux échanges. Cet équilibre relatif allait être transformé par l’arrivée massive de colons à partir des années 1750, d’abord à la suite de la déportation des Acadiens, puis avec la conquête anglaise et l’établissement de postes de pêches permanents sous l’égide de compagnies jersiaises. Ces compagnies, dirigées par des marchands originaires de l’île de Jersey comme les Robin ou les Le Bouthiller, allaient bientôt faire la pluie et le beau temps dans la colonie, car elles contrôlaient à la fois le gagne-pain et les magasins des pêcheurs. Les pêcheurs se retrouvaient alors aux prises avec un problème de taille. Les compagnies aidaient ces nouveaux arrivants, souvent originaires du Canada ou de l’Acadie, parfois d’Europe, à se lancer en affaires en leur fournissant le matériel de pêche à crédit. Ils devaient ensuite rembourser à la compagnie le coût de leur gagne-pain. La compagnie achetait alors la morue et leur vendait les biens de consommation. L’alcool, vendu à crédit au magasin de la compagnie, était d’ailleurs un des moyens privilégiés pour garder les pêcheurs endettés durant l’hiver, de manière à répéter le cycle jusqu’à l’infini. Un pêcheur trop endetté pouvait alors être envoyé en prison, ou recruté de force sur les bateaux de marine marchande des Robin.
La révolte des Paspéyas
À Paspébiac, le village garde encore la trace de cette présence importante des compagnies jersiaises. Le fouillis des noms de famille des Paspéyas témoigne des origines éclatées de la colonisation de ce poste de pêche : Horth, Delarosbil, Chapados, Parisé, Anglehart… ces noms d’origine allemande, basque, française ou anglaise colorent le mélange de naufragés, d’abandonnés et d’exilés qui ont peuplé les bancs de pêche. Les gens des alentours disent d’ailleurs des Paspéyas que se sont des “petits noirs” parce qu’ils ont souvent des traits plus ibériques ou méditerranéens. On dit d’ailleurs que le soleil ne se couche jamais sur les Paspéyas. Souvent endettés par la boisson, les Paspéyas du 19e siècle s’enrôlaient dans la marine marchande pour parcourir le monde. Il n’était pas rare de les retrouver en Jamaïque, en Sicile, à Liverpool… Cette tradition est restée, d’une certaine façon, puisque les chantiers navals en ont fait pour plusieurs des experts en construction de père en fils, ce qui les amène encore aujourd’hui aux quatre coins du globe.

Il y a, à Paspébiac, un des bancs de pêche les mieux préservés de la Gaspésie. C’est à cet endroit qu’en 1886 les pêcheurs se sont révoltés contre la compagnie des Robin, attaquant le magasin pour reprendre les marchandises. Aujourd’hui, le site est un lieu historique national dont les cartons semblent avoir été rédigés par un groupe marxiste-léniniste. Étonné par cette dénonciation ouverte du capitalisme à grands renforts de fonds gouvernementaux, j’ai voulu savoir comment une telle chose était possible. Je n’ai pas eu de réponse, mais une hypothèse est que le village garde cette fierté de la révolte de 1886 à travers, notamment, le syndicalisme de la CSN et de la FTQ construction.
Syndicalisme gaspésien
La pêche occupe aujourd’hui une place beaucoup moins importante que par le passé dans la vie gaspésienne. Certaines pêches, comme celles de la morue, ont été annihilées par la surexploitation, tandis que d’autres, comme celles du hareng ou du turbot, semblent décimées par plusieurs facteurs, incluant le réchauffement climatique. Pourtant, d’autres pêcheurs, comme les homardiers, font aujourd’hui des affaires d’or, tandis que le réchauffement des océans semble pousser la ressource plus au Nord. Un aide-pêcheur peut espérer faire dans les 2000$ par semaine durant la saison qui s’étire durant quelques mois, si le pêcheur emploie son bateau à d’autre quotas, comme celui du flétan.
Un ancien pêcheur, rencontré à la marina de Carleton, disait toutefois faire beaucoup plus aujourd’hui que les 1500$ par semaine qu’il tirait de la pêche en allant travailler sur les chantiers du Grand Nord. Ces travailleurs, qu’on appelle parfois les 21-21 à cause de l’horaire de travail (21 jours au chantier, 21 jours à la maison) peuvent aller chercher dans les 150 000$/an en travaillant dans les mines du Labrador ou sur les chantiers de la Romaine. C’est aussi une source d’inégalités dans les foyers. Les femmes, beaucoup moins souvent engagées pour ce type de contrats, doivent se contenter des métiers de soins ou de services. C’est sans compter toutes les opportunités qu’offrent une “région ressource” comme la Gaspésie, où l’éolien, la construction, Hydro-Québec, les forêts emploient encore beaucoup de monde. Ce travail syndiqué est peut-être une des raisons pour lesquelles la gauche gaspésienne est aussi forte, quoiqu’il s’agisse d’une gauche un peu particulière.
La gauche sans gluten
Évidemment, je ne parle pas de la gauche Québec Solidaire ou de l’UQAM. La Gaspésie est sans doute l’illustration typique de l’incompréhension politique entre métropoles et régions périphériques que relevaient Julia Cagé et Thomas Piketty dans leur livre. Berceau des grandes luttes syndicales avec les révoltes de pêcheurs ou la grève de Murdochville, la Gaspésie pratique depuis longtemps une sorte de gauche instinctive ancrée dans les pratiques locales de partage et de mixité culturelle, qui trouve plus d’échos dans le syndicalisme à coups de barre de fer de la FTQ construction que dans la “gauche sans gluten” de Québec Solidaire. Aujourd’hui, les choses tendent à changer avec l’établissement d’une population néorurale originaire des zones urbaines ou avec le retour de jeunes qui ont étudié dans les grands centres, mais cet impact est limité aux villes plus bourgeoises que sont Carleton, Maria ou Gaspé. Le fond culturel, lui, reste le même.
C’est d’ailleurs cette gauche instinctive que les frères Rose, Francis Simard et Bernard Lortie ont tenté de soulever à la Maison du Pêcheur en 1969. Ces jeunes hommes qui deviendraient célèbre sous la bannière du Front de Libération du Québec lors de l’enlèvement de Pierre Laporte en 1970 souhaitaient que la Maison du Pêcheur, une auberge de jeunesse, soit un lieu d’échange entre jeunes militants et locaux, dans l’espoir de les initier aux idées marxistes et révolutionnaires. Peu impressionné, le maire de l’époque se chargea de faire vider la place à jets de lance à incendie dès juillet 1969.
Maquereaux
Sur le quai de Carleton, j’essaye d’attraper des maquereaux avec une canne à pêche empruntée à des amies. Le but avoué est d’en faire des rillettes, mais il faut d’abord les attraper. Les maquereaux, eux aussi, sont affectés par la modification des courants océaniques, et leur population a baissé de manière draconienne dans les dernières années. Ils n’ont pas été aidés, il faut le dire, par la recrudescence de la pêche au homard. Ils entrent dans la fabrication de la boëte, qui sert à appâter les pièges. Demandez aux Gaspésiens, et ils vous diront systématiquement que c’est la faute des phoques si tous les poissons disparaissent. Ils ont le dos large. Aujourd’hui, les pêcheurs doivent importer du maquereau des Îles Feroé.
Un pêcheur à côté de moi a beaucoup plus de succès. Affaire de leurre et de technique, d’expérience. L’homme a le profil-type du redneck : anglo-gaspésien, chandail de motocross, pick-up et compagnie, mais il passe son temps à donner ses maquereaux aux trois Mi’kmaq qui pêchent à côté de lui. C’est mal tombé pour le cliché du redneck raciste. En plus, il me donne une douzaine de maquereaux pour faire les rillettes. Mission accomplie.
Je parlais du numéro de Jacobin avec Pascal Alain, et il y était question de musique country. Dans l’article, on aborde le caractère ingouvernable de la musique country américaine, que les Républicains et les Démocrates ont toujours essayé de récupérer, sans succès. La Gaspésie garde, en elle, ce côté ingouvernable. Lorsque les felquistes arrivent en 1969 et pensent l’embrigader dans leur lutte de décolonisation, ils se plantent.
Guerre du saumon
Immortalisée par le documentaire d’Alanis Obomsawin (1984), la Guerre du saumon est un épisode honteux de l’histoire québécoise, où le gouvernement du Parti Québécois a tenté d’empêcher les Mikmaq de pratiquer leur pêche au saumon. Même s’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une pêche traditionnelle (la pêche traditionnelle se faisait au nigog et non au filet), la pêche au filet des Mi’kmaq sur la Restigouche est un droit acquis de longue date et administré localement, dont certaines familles dépendent pour leur bien-être. À l’époque, le Parti Québécois sortait à peine d’un référendum sur l’indépendance du Québec. Prétendre que les Mi’kmaq n’avaient pas le droit à l’autodétermination sur leur territoire était d’une hypocrisie évidente.
Cette contradiction n’empêcha pas le PQ d’envoyer sa police politique mater les pêcheurs mi’kmaq, ce qui achèverait de les convaincre qu’ils devraient s’arranger sans le Gouvernement du Québec. Même si les cicatrices de 1981-1982 restent présentes, la conséquence heureuse de cette catastrophe est la force avec laquelle la culture mi’kmaw s’est réorganisée pour résister aux pressions adverses. Aujourd’hui, les Mi’kmaq sont plus nombreux, plus forts et plus riches qu’ils ne l’ont jamais été, mais ils sont encore confrontés à leur effacement du territoire. La toponymie, par exemple, garde peu de traces de leur présence continue. Ils n’ont pas non plus de souveraineté politique en-dehors de leurs réserves de Listuguj et de Gespgapegiag. À Carleton, la montagne qui surplombe le village est appelée bêtement Mont Saint-Joseph, alors que son nom mi’kmaw est Tracadigash (aussi écrit Tlagatigetj). C’était le siège d’un important culte du soleil et un lieu de rassemblement, qui a été remplacé par un oratoire dédié à la Vierge et à Saint Joseph en 1935.
Une musique de la frontière
La musique country est populaire dans toutes les communautés de la Gaspésie, qu’il s’agisse des Mi’kmaq, des Anglo-Gaspésiens ou des Francophones. Des chanteurs mi’kmaq comme Hubert Francis ou Richard Poulette versent d’ailleurs résolument dans ce style. Lors de ma visite à Paspébiac, le Festival du Crabe mettait à l’affiche Daniel Léger, un musicien acadien de country-rock. Le lendemain, le groupe acadien trad Réveil se produisait à Carleton. Comme me l’expliquait le journaliste Gilles Gagné, les bars de Gaspésie ont gardé l’habitude d’avoir des orchestres pour attirer les chalands. La musique occupe donc une place centrale dans la vie culturelle, mais elle répond aussi à son propre écosystème indépendant des métropoles.
La musique de Kevin Parent est d’ailleurs emblématique de cette scène locale. L’auteur-compositeur-interprète, qui s’est fait connaître de tout le Québec à la sortie de son disque Pigeon d’Argile en 1995 est un Anglo-Gaspésien originaire de Miguasha dont la musique est une version épurée de ce “son gaspésien” à la fois folk et country. Dans cet écosystème culturel du Golfe du Saint-Laurent et de l’Acadie, la musique country occupe une place de choix. C’est sans doute un effet de la frontière, omniprésente ici, quoique fuyante, qu’il s’agisse des frontières de la réserve, des États-Unis, des provinces ou de l’Atlantique. Dans l’article de Jacobin, le musicien Nick Shoulders explique : “ce qu’il y a de beau avec la musique country, c’est qu’elle devient l’étendard du pays de tout le monde, de ce que tous veulent aimer et chérir à propos d’eux-mêmes et d’où ils viennent”. Cet universalisme local est dur à répliquer, mais surtout dur à enrôler pour une cause ou une autre. C’est pour cette raison que les Acadiens comme les Québécois, les Mi’kmaq comme les Anglophones y trouvent leur compte.
Un territoire à imaginer
Dans ses lettres, l’écrivain Jacques Ferron témoigne de son travail de médecin en Gaspésie à la fin des années 1940. Il y raconte la misère et les conditions médiévales dans lesquelles vivaient les populations locales laissées à la merci des compagnies, que ce soit la Noranda à Murdochville, le Moulin à scie de Pabos ou les pêcheries… Cette misère a laissé des traces dans une population diasporique. Pendant longtemps, il y avait plus de Gaspésiens à Montréal ou en Nouvelle-Angleterre qu’en Gaspésie.
Aujourd’hui encore, la Gaspésie envoie ses enfants dans les universités de Montréal ou de Québec, sur les puits de pétrole de l’Alberta, dans les mines du Labrador et dans les chantiers de la Côte-Nord. Quand ils reviennent, elle n’a pas la place pour les accueillir, pas les moyens de les transporter… Le tout donne encore l’impression d’un territoire qui n’aurait pas été pensé pour y rester, comme un projet de compagnies jersiaises récupéré par les grandes entreprises, que ce soit LM Wind Power, Domtar ou Boralex…
Sur son balcon, Pascal Alain m’explique encore le défi que pose l’avenir pour ses filles, toutes deux adolescentes. “Elles se demandent comment elles vont faire pour acheter une maison”, m’explique-t-il. Comme toujours, le problème ne vient pas de la Gaspésie. Les coûts du logement sont partout en hausse, mais l’impossibilité de se loger est d’un autre niveau. C’est comme si, aux frontières de l’Empire, chaque crise se faisait sentir davantage. D’où peut-être cet espace en tension, ces révoltes, cette historicité : une péninsule, balayée par tous les vents. Et pourtant, elle résiste.
Je tiens à remercier à Gilles Gagné pour avoir partagé ses connaissances détaillées de la région.
À voir/à lire :
Vraiment, vraiment un excellent article. C’est évident qu’on peut traverser la région, faire le « tour » de la Gaspésie sans RIEN voir de tout cela. Je vais essayer de partager.